Quelques minutes plus tard, Léo se retrouvait avec une assiette de crêpes devant lui, noyée sous des couches de sirop. Et il avait réellement l'impression de n'avoir pas mangé depuis des lustres. La seule chose qui l'empêchait de dévorer plus vite son repas que la vitesse de la lumière était le regard scrutateur du médecin, analysant ses moindres faits et gestes.
- Tu n'en veux vraiment pas ? proposa-t-il, gêné.
- Non, non. Mange, c'est tes préférés.
Léo ne chercha pas plus loin, trop affamé pour insister davantage. Une bouchée, et il était aux anges.
- Alors, reprit-il après avoir avalé, qu'est-ce que j'ai loupé, en trente ans ? Ça doit quand même faire un paquet de saisons des Feux de l'Amour, j'ose espérer qu'un échantillon de l'humanité dans l'espace connaît plus de rebondissements qu'une série télé.
- La réalité est décevante, parfois.
- Dit le gars qui a un œil violet et... C'est quoi, ça, des ailes ? Tu sors d'une convention de fans de jeux vidéo ?
Cette fois, il parvint à arracher un rire au médecin. Plus rauque que celui qu'il avait déjà entendu, mais toujours aussi sincère.
- Ce qu'il y a de pratique, quand on voyage pendant des années, c'est qu'on a beaucoup de temps pour réfléchir à certaines choses. Tu te souviens qu'au départ j'étais en fauteuil roulant ?
Léo hocha la tête, attentif. Tout comme pour ses crêpes, il n'en loupait pas une miette.
- J'ai une maladie dégénérative du système nerveux qui m'empêchait de plus en plus de me déplacer, et pire, d'opérer. On ne peut pas pratiquer de chirurgie avec des mains qui ne répondent qu'une fois sur deux. Mais avec les meilleurs cerveaux de l'humanité, tout devient possible... Même une prothèse qui suspend la dégénérescence cellulaire.
Il montra ses mains, où deux cicatrices fines marquaient la séparation avec son poignet. Une autre lui barrait le cou, à la manière d'un collier discret. Le système était concentré dans son dos où ressortaient de fines barres en forme d'ailes métalliques, des plumes ouvragées les décorant. Léo admira le détail apporté sur les finitions : c'était un véritable travail d'orfèvre pour le rendre à la fois fonctionnel et esthétique.
- Et l'œil, il en fait partie ? demanda-t-il, curieux.
Le sourire de l'homme se fit plus triste, et Léo regretta presque aussitôt sa question.
- C'est l'inconvénient de voyager dans l'espace, ça. On a parfois des accidents. Lors d'une traversée d'un champ d'astéroïdes, je n'ai pas pu rejoindre ma capsule à temps et j'ai été coincé dans mon laboratoire. J'ai eu de la chance de n'y perdre qu'un œil, et je dois avouer m'être attaché à celui-ci, maintenant.
Il ponctua sa phrase d'un clin d'œil améthyste. Léo se sentit un peu mieux quand il enfourna une nouvelle bouchée de crêpes.
- Et sinon, quand est-ce que nous sommes censés arriver sur la colonie ? Ça me semble déjà bizarre que vous n'y soyez pas encore arrivés, au bout de trente ans, tout de même.
Le docteur allait lui répondre quand une personne s'engouffra dans la salle.
- Papa, est-ce que je peux... Oh.
Léo faillit s'étrangler avec ses crêpes. Comment ça, "Papa" ?
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A l'Aube du Temps
Science FictionL'Aube, le plus ambitieux vaisseau spatial de l'humanité à ce jour, a pour mission de rejoindre une planète habitable pour fonder une colonie. Mais quand Léo monte à bord, le brillant jeune homme ne se doute pas dans quoi il embarque. Le temps pas...