5. Océan d'étoiles

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  Les portes s'ouvrirent devant les deux hommes, abandonnant la serre derrière eux. Une légère brume s'en échappait encore.

- ... Et l'eau est en circuit fermé. On la récupère, on la traite, et elle est entièrement réutilisable pour notre propre consommation.

- Même dans le cas de la fuite de tout à l'heure ? s'étonna Léo. Il me semble que... Salim, si je ne m'abuse, a parlé d'un problème de plomberie.

  Ils arrivèrent au niveau de l'observatoire où d'immenses carreaux de verre de quartz formaient la seule barrière entre les voyageurs et le vide de l'espace. De l'autre côté, des étoiles scintillaient dans l'immensité obscure. Ivan désigna le paysage d'un geste du bras :

- Notre système entier se doit d'être hermétique avec l'extérieur, il en va de notre survie. C'est pourquoi il est important que notre station soit autonome : tout ce que nous avons pris, nous le récupérons d'une manière ou d'une autre.

- Je vois...

  Léo restait méditatif, perdu sur l'immensité spatiale.

- Qu'en est-il de l'objectif de l'Aube ? La planète se situe encore loin ? Avec un vaisseau qui peut atteindre la vitesse de la lumière, il ne devrait pas y avoir de soucis.

  Le médecin ne répondit pas de suite. Il faisait tourner un anneau autour de son pouce, l'air de marcher sur des œufs. Et Léo n'aimait pas ça.

- Au risque de me répéter, les voyages dans l'espace sont parfois dangereux. Nous nous sommes déjà heurté à des astéroïdes, nous avons dévié de notre trajectoire...

  L'ingénieur fronça les sourcils : même avec quelques collisions, rien d'aussi mineur n'aurait pu retarder de plusieurs années l'arrivée du vaisseau. Il allait intervenir quand une porte s'ouvrit.

- Papa ! appela Ondréa, la jeune femme accourant dans leur direction. Salim s'est blessé dans les réparations, il t'attend à l'infirmerie.

- Encore ? s'exclama-t-il. Ce garçon a de la chance d'avoir encore ses dix doigts, je te le dis. On se voit plus tard, Léo.

  Et il partit en trombe, plantant Ondréa et Léo dans l'observatoire. Il aurait aimé recevoir davantage de réponses, mais il supposait qu'il allait devoir attendre. Il soupira et se posa sur l'un des sièges, face à l'espace. A sa grande surprise, la chercheuse vint s'asseoir à ses côtés.

- On a retrouvé ceci dans vos affaires.

  Elle lui tendit un petit objet de bois que Léo reconnut, quand bien même l'usure du temps ne lui avait pas fait de cadeau : son petit automate. Un cheval de bois avec des engrenages qui, remontés par une clef, le mettaient en marche.

- Merci, dit-il avec gratitude, avant de mieux l'observer. Par contre, je ne me souviens pas d'avoir vu de traces de dents dessus, il y a trente ans.

  La jeune fille rougit, comme mal à l'aise.

- Beaucoup d'enfants l'ont vu passer, c'est ce qui se rapprochait le plus d'un jouet sur le vaisseau... Je m'excuse pour les dommages, je peux vous en construire un autre si vous voulez !

- Pas de soucis ! Je garde celui-là, il a une valeur sentimentale. C'est mon père qui me l'avait fabriqué.

- Il devait être doué.

- Il l'était.

  Un silence confortable s'installa entre les deux jeunes personnes, et les yeux de Léo se perdirent de nouveau sur l'espace et les étoiles lointaines.

- On a un peu l'impression d'être dans un aquarium, commenta-t-il pour faire la discussion.

- J'ai du mal à voir la ressemblance. À moins que vous ne vous considérez comme une algue destinée à produire de l'oxygène.

  Sa voix détachait les syllabes, comme pour s'adresser à un enfant dont on voudrait qu'il comprenne chaque mot. Léo se maudit intérieurement : les gens de l'espace n'ont pas les mêmes références.

- Sur terre, on ne mettait pas que des algues dans les aquariums, mais aussi des poissons. Et si jamais on les en sortait, ils risquaient l'asphyxie, un peu comme nous si nous devions sortir du vaisseau. Bien que là, je me demande si nous ne risquons pas de nous noyer dans l'aquarium.

  Elle se tourna vers lui, clairement plus intéressée par sa dernière phrase que par ses histoires de poissons.

- Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

  Léo la jaugea du regard : une scientifique au pôle recherche, elle était sans doute brillante. Autant utiliser un langage qu'elle devait connaître.

- Vous connaissez le principe du Cycle de Carnot en thermodynamique, je suppose ?

- Bien entendu ! Le modèle théorique d'un moteur parfait : on produit autant d'énergie qu'on en consomme. Mais en pratique, il est impossible à réaliser.

- C'est bien ce qui m'inquiète, continua l'ingénieur. En pratique, nous consommons toujours plus d'énergie pour en créer une autre. Par conséquent, il est impossible d'avoir une station entièrement autonome. On a forcément de la perte dans les échanges, et on se retrouve sans rien à la fin. Les pertes ont sans doute du être estimées au départ, mais si la durée du voyage ne cesse de s'allonger, j'ai bien peur que...

  Les lumières se coupèrent et une alarme retentit. Les diodes de secours prirent le relais, teintant le monde de rouge par intermittence.

- Qu'est-ce qu'il se passe ? paniqua Léo. Ondréa ?

  Mais à ses côtés, Ondréa ne répondit pas. En fait, elle ne répondait plus du tout, même quand il lui secouait le bras et lui criait dans les oreilles.

- Et merde...

A l'Aube du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant