6. Mise à jour

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   Il attrapa la jeune fille et la porta à bout de bras, avant de prendre la direction de l'infirmerie. Au moins, les portes fonctionnaient toujours. Il ne lui restait plus qu'à prier de retrouver son chemin dans les couloirs labyrinthiques et l'obscurité intermittente. Il fallait qu'il se concentre : il avait travaillé pour assurer la gestion des lieux, il n'allait pas se perdre dans un de ses outils !

   Il était au milieu d'un couloir que l'alarme s'arrêta. « Panne de générateur résolue », résonna une voix mécanique. Pas le temps pour maudire qui que ce soit, il fallait emmener Ondréa à l'infirmerie. Ses yeux restaient bizarrement ouverts, mais inactifs. Il ne savait pas ce qui lui était arrivé, mais pitié, que ce ne soit rien de grave.

   Heureusement pour lui, il retrouvait des panneaux de service indiquant le chemin. Des tâches d'humidité fleurissaient sur certains, et des tuyaux longeant les couloirs présentaient des traces de rouilles. Un peu d'attention aux détails, et tout lui sembla plus clair.

- C'est plus un vaisseau mais une épave !

   Devant lui apparurent enfin les portes de l'infirmerie qu'il poussa avec urgence. Il surprit Ivan qui terminait un bandage au bras de Salim et posa avec délicatesse Ondréa sur l'un des rares lits non encombrés.

- Vite, Ivan ! Je crois qu'elle a fait un malaise au moment de la panne !

   La tête de la jeune femme tomba sur le côté, ses yeux toujours ouverts. Avec appréhension, Léo approcha sa main du cou de la jeune femme, à la recherche de l'artère. Mais rien. Pas de pouls.

- Ivan...

   Il releva les yeux vers le médecin et s'arrêta. Ivan ne semblait pas prêt à intervenir. Il regardait simplement Léo, la mâchoire serrée. Il prit une inspiration et se tourna vers le technicien.

- Salim ?

  Le jeune homme en blouse bleue se leva de sa chaise, avant d'éloigner Léo du corps d'Ondréa. Il redressa d'un geste doux sa tête puis lui retira les lunettes qui traînaient sur le sommet de son crâne. Il les mit sur son nez, appuya sur un interrupteur confondu avec leur forme et un écran se projeta sur les verres.

- Accès système mode opérateur. Enclencher le reboot.

   Les yeux clairs de la jeune femme émirent une lumière diffuse bleutée. Ses pupilles bougèrent dans des directions aléatoires, des mouvements erratiques. Parfois son corps était pris d'un soubresaut, un doigt se relevait, la bouche s'ouvrait légèrement. Puis tout fut figé.

- Reprise mode autonome.

   La jeune femme prit une profonde inspiration, comme sortie de l'eau. Ses yeux se mirent à papillonner et la lumière s'éteignit. Salim retira les lunettes et les tendit à Ondréa, un peu perdue.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-elle.

- Ce serait plutôt à moi de le demander !

   Les regards se tournèrent vers Léo. Celui perdu d'Ondréa, celui énervé de Salim... Et celui désolé d'Ivan.

- Léo... commença le médecin. Je sais que ça peut paraître perturbant, mais...

- Perturbant ? répéta-t-il. C'est une sorte d'automate ultra-moderne du futur, et personne n'a pensé à me prévenir ? J'ai cru qu'elle était morte pendant une seconde, et c'est même pas une vraie personne ?

   Ondréa ne répondit pas, la bouche encore ouverte. Il cru voir poindre des larmes dans ses yeux. Non, ses capteurs. Et mince !

- Ne parlez pas d'elle comme ça !

   Salim s'avança vers lui, pointant son doigt en avant, mais Léo n'était que peu impressionné.

- Tu peux dire ce que tu veux, mais ça reste une machine. Elle n'est pas humaine, quand bien même elle est...

- C'est votre fille, bordel !

- Salim ! s'écria Ivan.

   Léo resta bouche-bée. Lui aussi aurait eu besoin d'un reboot. Ce jeune homme avait donc perdu la tête à force de vivre dans l'espace ?

- Si vous ne voulez pas lui dire la vérité, Doc, tant pis pour vous. Hors de question que je le laisse parler d'Ondréa comme ça.

   Il se tourna de nouveau vers l'ingénieur, toujours abasourdi.

- Il y a trente ans, vous n'êtes pas resté endormi. Vous avez vécu sur cette navette comme tout le monde, vous vous êtes marié avec Ivan, et vous avez même décidé d'avoir une enfant. Et pour ça, vous en avez construit une. Non pas un petit automate, mais la meilleure intelligence artificielle dont vous étiez capable, dans un corps tout à fait semblable aux nôtres. L'alliance parfaite de la technologie et de la biologie.

- Salim... appela Ondréa, la voix cassée. Arrête, s'il te plaît...

   Il ferma les yeux, en proie à un dilemme. Puis continua.

- Il y a cinq ans que vous êtes mort dans la station. La seule raison pour laquelle vous êtes là, c'est parce que cette brillante jeune femme, votre fille, a réussi à percer les mystères du voyage temporel ou je ne sais quoi. Alors que je ne vous reprenne plus à la traiter comme un vulgaire objet, parce que soyons clairs, ce n'est pas elle, l'aberration.

   Il reprit son souffle, comme à la fin d'une course. La jeune femme s'était levée pour lui saisir la main, mais toujours tournée vers Léo. Attendant une réaction qui ne venait pas.

- Je...

   Le vide dans son esprit. Le trop-plein d'informations dans sa tête. Tout qui devient flou. Il recula jusqu'à la porte, appuya sa paume sur l'interrupteur.

   Et courut le plus loin possible.

A l'Aube du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant