7. Fragments de temps

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   Il était parti sans trop savoir où, sans trop savoir comment. Jusqu'à ce que ses poumons explosent, ce qui ne prenait en général que quelques minutes. Suffisamment pour qu'il tombe sur la première pièce dans laquelle il était rentré : la salle du tableau de bord.

   Il s'était assis au sol et son esprit se perdait sur la carte interactive. Autour de lui il retrouvait les lignes, les trajectoires, les objets spatiaux, mais ne reconnaissait rien de ce qu'il voyait. Dans un coin perdu de l'univers.

   Il avait vraiment vécu ici ? Combien de fois avait-il du passer par cette porte ? Combien de fois avait-il du travailler là, à vérifier le matériel, améliorer des objets ou simplement observer la carte pendant des heures ?

   Il attendit. Il ne sut combien de temps, ou même s'il avait dormi, mais une voix le fit sursauter.

- Tu étais là.

   Une simple constatation. Il se releva et, de l'autre côté de la salle, l'homme à l'œil violet jouait avec son anneau.

- Tu as toujours aimé cette salle. Tu venais souvent t'y poser après une dure journée de travail, quand il n'y avait plus grand monde. Des fois tu y bricolais, parfois tu discutais avec l'intelligence artificielle pilote, mais souvent tu t'asseyais en silence et tu ne disais rien.

   Léo s'approcha mais resta silencieux. Ivan parlait de lui au passé. Il était vraiment mort, alors.

- Je pense que c'est ici que tu as eu tes meilleures idées, continua Ivan. Pas que d'autres étaient mauvaises, mais tu étais vraiment brillant. Tu l'as peut-être déjà deviné, mais c'est toi qui m'as aidé à construire mes barres. Et bien sûr, il y a eu Ondréa.

   Son sourire réapparut sur son visage, et l'ingénieur aurait juré qu'il venait de rajeunir de quelques années.

- Tu as tellement travaillé dessus que, quand elle est née, tu ne voulais plus la lâcher. Tu avais peur qu'elle ne se casse, alors que c'était nous qui l'avions créée. Elle était si forte... Nous lui avions même fabriqué une capsule de repos, dans l'infirmerie. Pour la protéger des collisions.

   L'homme passa sa main dans ses boucles grises, comme rattrapé par le poids des années.

- Mais un jour où vous vous étiez disputés, elle ne voulait pas entrer à l'intérieur. Elle trouvait que tu la protégeais trop, et elle n'avait pas tord. Mais à cause de cette dispute, vous vous êtes battus pour qu'elle rentre se mettre à l'abri. Elle a fini par y aller mais tu n'as pas eu le temps de rejoindre la tienne avant l'impact.

   Sa voix se brisa, et il se tut. Il fuyait son regard, perdu sur la carte, jouant avec sa bague polie par le toucher et les années.

- Elle s'en est voulue, tu sais. Elle s'est mise en pause pendant plusieurs jours, j'ai cru la perdre en même temps que toi. C'est Salim, ton ancien apprenti, qui a pris soin de nous deux pendant ces temps difficiles.

   Léo repensa au jeune homme qui lui avait craché ses quatre vérités à la figure. Pas étonnant qu'il se soit énervé contre lui, il devait être très attaché à Ondréa.

- Mais j'aurais du me douter qu'elle me faisait le même coup que son père ! s'énerva-t-il. Partir dans sa tête pendant plusieurs heures avant de revenir avec une idée complètement folle, je te laisse deviner de qui elle le tient !

   L'homme supportait de nouveau sa vision, l'air réellement agacé. Léo ne put s'empêcher de le taquiner :

- Donc si je comprends bien, on a une fille, et elle trouve comment voyager dans le temps ?

- Faites des gosses, qu'ils disaient...

   Ils échangèrent un regard complice avant d'éclater de rire. L'atmosphère sembla un peu moins lourde au jeune homme, dans le calme de la salle de contrôle. Mais il ne put s'empêcher, sa curiosité piquée à vif.

- Mais du coup, comment ... ?

  Ivan soupira, comme s'attendant à la question. Il pointa ses ailes dans son dos :

- Tu te souviens de mon système de suspension de dégénérescence ? Je ne suis pas sûr d'avoir tout compris lorsqu'elle a tenté de me l'expliquer, mais, en inversant la polarité des rayons, elle aurait réussi à inverser le processus de dégradation. Nous conservons toujours les corps dans les capsules des décédés, pour des raisons d'hygiène. Une solution temporaire tant que nous n'avons pas atteint la planète, mais qui en l'occurrence nous a bien aidé. Il t'a fallu du temps pour te réveiller, mais le processus a fonctionné.

- C'est... bafouilla Léo.

La porte de la pièce s'ouvrit sur Ondréa, suivie de Salim. Il croisa ses yeux clairs de la jeune femme.

- Brillant.

A l'Aube du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant