2. Réveil difficile

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  A son réveil, les premières choses que Léo sentit, ce furent sa bouche pâteuse et l'odeur de lavande. Dans le caisson lumineux, il se frotta les yeux et appuya la paume de sa main sur les portes. Elles s'ouvrirent et il tomba en avant, ses coudes rencontrant le sol froid.

- Aïe !

  Il se redressa et fut perdu : la capsule aurait du se tenir inclinée et non droite, sans quoi il n'aurait pas basculé en avant. Et elle n'était plus dans la bonne position car elle n'était plus dans la salle de repos. Il se trouvait dans une pièce carrelée avec nombre de fioles et de boites empilées, entre lavabos surchargés et fauteuils confortables, et un mélange de café et de détergent flottait dans l'air. A mi-chemin entre l'infirmerie scolaire et le laboratoire d'un scientifique fou.

  Il n'eut que le temps de se relever qu'il entendit des pas précipités entrant dans la pièce.

- Enfin réveillé ? C'est pas trop tôt !

  Léo nia toutes les règles de la bienséance pour dévisager l'arrivant, les yeux ronds comme des ballons. Entre les marques claires qui tranchaient un peu partout sur sa peau, son œil violet barré d'une énième cicatrice et les drôles d'ailes de métal qui sortaient de son dos, il paraissait tiré d'un conte de fées. Le jeune homme balbutia :

- Je suis... Mort ?

  L'homme face à lui eut un petit rire étranglé, agitant quelques-unes de ses boucles grises sur sa tête. Il pointa la blouse qu'il portait.

- On a tout fait pour que non, en soit. Mais il vaudrait mieux que tu t'assoies, que je t'inspecte un peu.

  Il le prit par les épaules et, bien que sa poigne ne devait pas être particulièrement forte, Léo se sentit tomber sur le siège. Son regard dévia de la blouse vers le badge arboré par l'homme. "Dr Ivanoé".

- Tiens, remarqua Léo. C'est marrant, vous avez quasiment le même nom que...

  Le jeune homme se figea. Son regard se releva vers le visage du médecin, son sourire rassurant, cet oeil sombre qui lui restait...

- Tu te souviens de moi, Léo ?

  La mâchoire de Léo se décrocha. Le docteur posa un bâtonnet sur sa langue.

- Fais "ah", s'il-te-plaît.

- Hous Hous ihez eu woa ?

- Pardon ? demanda le médecin en retirant le bout de bois.

- Vous vous fichez de moi ? répéta-t-il. Vous avez sans doute l'âge de mon père, et j'ai vu Ivan juste avant le départ !

  Le médecin ne lui prêtait qu'un minimum d'attention, fourrant l'un de ses appareils dans son oreille.

- Effectivement, c'est là qu'on s'est rencontrés. Est-ce que tu as des vertiges ?

- Non, je me sens très bien, merci ! s'énerva-t-il. Vous voulez bien m'expliquer ce qui se passe ?

  Ivan soupira, posa ses outils et se planta face à l'ingénieur :

- Ta capsule de sommeil a eu un soucis de fonctionnement, tu as dormi bien trop longtemps. En fait, une trentaine d'années.

  Léo accusa le coup et porta la main à son front. Il la descendit jusqu'à sa barbe de quelques jours, comme à son arrivée. Il toucha sa peau et la trouva inchangée, si ce n'était un peu sèche. Ivan répondit à son regard interrogateur.

- Je n'ai aucune idée de comment c'est possible, mais il semblerait que l'état de stase dans lequel elle t'a plongé ait stoppé le processus de vieillissement. Il m'arrivait de t'en sortir pour vérifier tes signes vitaux, mais rien de plus. Tu es un miraculé.

  Le médecin en avait les larmes aux yeux, comme s'il ne pouvait y croire. Léo, lui, se trouvait bien embêté. Non seulement il avait loupé les trente dernières années, mais en plus, il avait raté sa chance avec le garçon qu'il trouvait mignon la veille. Pas que les vieux hommes ne soient pas son genre, mais... Si, en fait.

- J'ai plein d'autres questions.

  Il fut interrompu par le gargouillis de son propre ventre. Ivan lui adressa un petit haussement de sourcils amusé.

- Rien qui ne puisse attendre de manger un bout ! Trente ans, ça doit creuser.

A l'Aube du TempsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant