CHAPITRE 49 - L'Abysse

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RETOUR POINT DE VUE ELEONORE




je l'aime 

je l'aime 

je l'aime

je ...


J'ouvre l'oeil, paniquée et complètement perdue dans l'immense chambre de mon meilleur ami. Je soulève mon t-shirt et déguste. La large trainée rougeâtre qui arpente fièrement ma cuisse me donne un haut le coeur, pleine de sueur et le souffle saccadé par la vision trouble d'un rêve trop réel, trop présent et trop douloureux.

Rassurée par la respiration apaisée à mes côtés, je glisse en douceur hors du lit, cognant mon orteil tout contre l'armoire. Je relève les yeux vers le miroir attenant, retenant de justesse un gros mot libérateur. 

J'en reste interdite, secouée par la vue de ma tronche au travers d'un reflet effrayant. Les joues creuses, cernées à m'en faire des poches profondes, j'ai l'impression d'apercevoir l'ombre de moi-même, qui me souffle de prendre du recul, me libérer du poids qui m'enfonce un peu plus dans mon mutisme.

J'ai fait mon choix.


On compte sur moi.


Mais je compte sur qui, moi, au juste?

Pas sur la nana amaigrie, blafarde, qui me fait de l'oeil, juste en face, me faisant signe de déguerpir avant d'aggraver ma situation.

Elle est dingue, cette fille. Je ne peux pas partir, je me refuse à faire souffrir mon mentor, encore une fois. Elle a beau m'apeurer de son regard si familier et pourtant si éteint, étrangement lointain, je ne cèderai pas.


On compte sur moi.


Mon reflet se moque de moi, un petit sourire moqueur en guise de simple réponse à ma conviction ridicule.

Parce qu'elle sait, au fond d'un moi dérouté, qui s'est emparé de mon muscle vital. Elle sait de quoi sont faites mes nuits agitées. Elle sait l'unique chose qui peut me redonner l'ébauche d'un minuscule sourire.

Parce qu'elle l'a entendu, le mot, celui qui provoque une montée de larmes à mes joues rougies, en nage. Et rien qu'à la voir, cette fille, devant moi, je rêve de la gifler, la réveiller pour enfin parvenir à la déchiffrer.

Elle est ridicule, s'essuie et masque maladroitement ses reniflements répétitifs pour qu'un Teddy endormi n'entende rien et  puisse poursuivre sa nuit apaisée, au côté de la « fille rêvée » selon lui, celle qui se couche, le sourire aux lèvres et se risque à attendre qu'il ronfle pour fixer le plafond longuement, sans jamais trouver le sommeil, ou faire le même rêve qui s'achève au pire moment.

Le cercle vicieux se referme lourdement sur elle. 

Parce qu'elle, elle aime profondément l'impossible. Un impossible qui s'est amusé à faire bondir son coeur d'un seul mot, tellement éprouvant et redondant à son esprit compressé. Elle fait belle figure le jour, engloutit son quotidien d'un revers de la main, gardant en mémoire l'attachement considérable que lui apporte son meilleur ami. Alors pourquoi la nuit, lorsque tout est sans bruit, recouvert d'un couche nocturne qui tourmente mon esprit, elle pleure Austin, celui qui l'a chagrine...

Un chagrin? Baliverne.

C'est plus profond, plus mortel, je le vois dans les yeux de cette Léo, debout par miracle, son t-shirt masquant difficilement la rougeur douloureuse qui lui mord la jambe.

IMPERFECTIONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant