CHAPITRE 43 - L'épopée

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RETOUR POINT DE VUE ELEONORE



La petite douleur est constante, elle me bride, enferme volontairement mon regain passionnel, le tout dans un sourire gêné.

J'oscille entre envie de rire et toux désagréable, enchainant sur un lent hochement de tête contrôlé à la tirade immanquable que m'afflige ma mère.

- « tu m'écoutes, petite ingrate? »

Grant discute, les bras croisés devant Austin, adossé à la table de jardin gelée. De la fenêtre, je distingue à peine le petit sourire qui barde le visage de ce grand gaillard en pull-over gris chiné. Tournant au ralenti ma crème pâtissière, je manque de faire voler le plat en recevant un coup de coude de la maîtresse des lieux. Je frotte mon membre meurtri, grimace et relève les yeux vers son coup d'oeil mauvais.

- « Tu vas vite me débarrasser de ce garnement »

- « pardon? »

Elle dépose fermement son plateau et me scrute, les poignes serrées pour affronter sa sotte de fille.

- « Tu t'imagines être plus intelligente que les autres, Léo? Ce genre de garçon n'est pas fait pour toi »

Je lâche définitivement ma cuillère et me renfrogne, à bout.

- « et ça signifie quoi, au juste, CE genre de garçon? »

- « tu joues avec le feu, jeune fille »

- « dis moi pourquoi, à la fin!»

- « il est comme ton père »

Je relâche violemment ce fichu ustensile, qui chute sur le plan de travail et me laisse muette, devant l'air déterminé qu'elle affiche enfin, reprenant la réalisation de ma crème sans mon consentement. Le souffle coupé, je visionne à nouveau la carrure de ce jeune homme, qui maintenant regarde dans notre direction, m'offrant un clin d'oeil à la dérobée, empli d'entrain et d'une mutinerie enfantine délibérément excitante.

- « c'est des conneries » je souffle, à peine sûre de moi.

- « le même petit abruti sûr de lui, le genre à butiner partout, sans se retourner et vous... vous... »

Je dévie mon champ de vision, suivant la ligne ridée du sourire méprisant qu'elle affiche volontairement, guettant au loin le cadre numérique, en guise de rappel douloureux.

- « ... tu le revois vraiment, Eléonore? »

Nos corps, face à face, semble figés dans un silence lourd de sens. Les paumes à plat sur le marbre clair, je cligne des yeux avant d'avouer.

- « il est remplaçant à l'université »

Elle inspire par saccade, se rattrape violemment à son évier avant de masquer son désoeuvrement à l'aide de sa paume. J'entends un faible « mon dieu », sans quitter des yeux ce profil horrifié.

Ce n'est plus une mère, ce n'est plus le pilier de ma famille cagneuse, mais simplement une femme torturée, à cet instant précis. Les paupières frémissantes, elle baisse lentement le regard avant d'ajouter, comme pour me rassurer.

- « je suis simplement surprise, c'est... étonnant... »

Austin me guette maintenant en fronçant les sourcils, tentant de zieuter ma mère en douce, à travers la vitre menant à l'extérieur. Sans lâcher son regard, je tente de me justifier.

IMPERFECTIONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant