CHAPITRE 59 - Petite vengeance

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(musique : Oh Wonder - White Blood)



Je vais bien. 


Rien ne vient perturber ce bout de quiétude apaisant, cette pause silencieuse où mes doutes semblent s'estomper, lentement, pour se murer au plus profond de mes idées noires. Je veux gravir les échelons de la vie et ne rien regretter, quitte à souffrir le martyr à l'idée de ne plus revoir ce visage souriant et intime. Ce pétillement interne me provoque une vague de bouffée de chaleur alarmante, que je fais taire d'un revers de la paume, anesthésiée par l'ébauche de mes sentiments. 

Je ne crois pas en l'amour éternel, cette possibilité d'être lié à jamais à l'être parfait. 

Je ne crois qu'en nos maigres choix d'attache, cette infime possibilité de supporter un quotidien à une certaine période donnée, avec une certaine personne dite. Toute une vie semble aussi long qu'un téléfilm à l'eau de rose douteux, une éternité à supporter la routine sentimentale qu'on nous force à ingurgiter pour supporter les difficultés d'un quotidien.

Cependant, quand je croise le profil avantageux qui me décoche un nouveau sourire interrogateur, mes idées sur la question semblent s'essouffler pour doucement transformer mon ventre en guimauve. C'est ridicule et surfait mais j'ai beau détourner le regard et revenir sur ma proie, rien ne change, mon coeur s'emballe, mes paumes s'échauffent et mon souffle s'accélère. Le parfait combo à ma prochaine détresse fatale.

- « tu es prête? »

La vérité est que la teneur de mes sentiments dépasse ma propre idée sur la question. Je voudrais bien l'envoyer paître pour me prouver que rien n'est différent du cheminement répété qu'ont vécu mes parents et des millions de couples malheureux. Je voudrais me forger une carapace intouchable et revivre dans le déni, rien que pour éviter de m'appuyer sur cette épaule branlante qui pourtant me soutient plus que de raison. 

- « oui »

Je suis prête pour la découverte de la vraie vie, celle qui nous bazarde violemment sans prendre la peine de s'en excuser, nous plonge sans pitié dans le train quotidien d'obstacles et détournements injustes.

Apprêtée, rembourrée du décolleté, je tourne sur moi-même pour le petit effet, manquant de trébucher sur la parcelle de pavé. Une main me rattrape in extremis, bloquant mon mouvement dans un rire grave. Je chancelle et me reprends aussitôt en croisant la route du sombre et troublant bleu des prunelles rieuses d'Austin. 

Paré d'une chemise sombre, un bouton découvrant une infime part de son hale naturel, j'analyse, muette, son gabarit avantagé.

Une semaine et demi.

Une semaine et demi où mes pieds frôlent lentement ses genoux à travers ma couette trop rêche.

Une semaine et demi où mes doigts s'imprègnent de la sensation de sa peau sous ma pulpe.

Une semaine et demi où je vis.

Et je vis bien.


Je ne mens pas en vous avouant que c'est terriblement grisant de tenir le rôle principal de sa vie. Principal est peut-être un énorme terme, pourtant, rien qu'en me tordant le cou pour déchiffrer ce petit air mystérieux, je sais que j'existe, et j'existe pour qu'il se détourne vers moi et me sourit, accessible, troublant et déroutant. J'existe en oubliant la majorité des questions qui me taraudent, j'oublis tout pour me concentrer sur la petite fossette attendrissante qui me fait de l'oeil.

IMPERFECTIONSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant