Chapitre 6 : Fae

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— Ces forêts, je ne les aime pas, mon frère. Elles sont sombres et sans vie. Les humains semblent déjà les avoir envahies. Je ne ressens plus rien. Où sont nos Dieux ? Que deviendra notre culture ?

— Fae ! Père se meurt, tu le sais très bien. Éire n'est plus sûre pour nous, ils nous ont chassés de nos terres, poussées jusqu'à la mer. Les Anciens nous suivront et nous ne sommes pas loin de l'Épine de Freya. Elle devrait nous protéger le temps que nous nous reposions, ma sœur. La priorité est de soigner Athair, et faisons-nous discrets pendant quelque temps.


— L'Épine ne nous sauvera pas. Cela fait des années que Freya ne s'est pas montrée. Elle a fui vers l'Est et nous a abandonnés. Pourquoi reviendrions-nous réclamer son aide ?


— Elle seule le peut, les autres viendront bientôt. Laissons l'espoir pousser de ce sol infertile. Redonnons vie à cette forêt ensemble, Fae.


— Dis-moi, Deartháir ! Qu'est-ce que ça te fait de retrouver les tiens, de retrouver ton Dieu ?


— Ce n'est plus mon Dieu ! et cela depuis bien longtemps. Père est roi désormais, bien que cela te déplaise. Ce n'est pas parce que ma culture est différente que je vais trahir ceux qui m'ont accepté, éduqué et nourri.


- Excuse-moi, je ne voulais pas te blesser. Mais la question était sincère Deartháir, sens-tu ton Dieu en ces terres ?

— Non. Pas plus que je ne l'ai senti au cours de ma vie. Mais je dois avouer que la nourriture des chrétiens m'a manqué.


Frère me sourit et sut me calmer comme il savait le faire depuis que j'étais enfant. Je lui rendis son air malicieux par une langue tirée. Il retourna travailler tandis que je pris mon épée pour m'entraîner contre les troncs pourris de cette forêt. Au fond de moi, je voulais aussi goûter aux mets chrétiens.



Père n'eut jamais la patience de nous apprendre la vie. Ses préceptes n'allaient guère plus loin que ; Dieu est bon, le diable est mauvais. Il ne fallait pas pêcher sinon le paradis nous serait fermé et c'est tout ce qu'il avait à nous apprendre. Cela paraissait si simple, tuer les méchants et laisser vivre les gentils, ne pas voler, ne pas mentir... Aux yeux d'un enfant, tout cela fait sens, mais lorsque les hivers passent, le monde s'assombrit. Le noir et le blanc se changent alors en différentes nuances de gris et notre âme se perd. Comment vivre des milliers de jours sans commettre aucune erreur ? Heureux, doivent-être les nouveau-nés n'ayant pas trouvé le chemin vers la vie, le paradis leur est assuré et ils n'ont pas a subir les affres de la vie.


Mes yeux ne pouvaient à peine s'ouvrir, mes sens étaient troublés. Je pouvais sentir la paille sous mon dos qui me grattait et ma tête retenue par un coussin de plume à moitié rempli. Je sentis une patte mouillée passée lentement sur mon visage. Je bougeais la main et la voix de Tristan répondu à mon appel. Il se tenait devant moi avec un regard perdu, il n'avait pas dormi.


— Comment allez-vous ? Cela fait bientôt une journée que vous êtes alité, nous commencions tous à être inquiets, dit-il pendant que je me réveillais lentement.


Je m'assis non sans difficulté sur le bord du lit et faillis vomir mon dîner. Seule la main réconfortante de Tristan me permit de ne pas tomber au sol. Les images de la nuit passée me revinrent gentiment.
— Quel jour sommes nous, et quelle heure ? demandais-je avec peine.


— Le jour du Seigneur, peu avant le souper. Vous dormez depuis l'incident de cette nuit. Clayton vous a vu suintant et essoufflé dans les couloirs hier soir. Vous l'avez percuté et après être tombé, vous ne vous releviez plus. Le pauvre a paniqué et c'est empressé d'appeler de l'aide. J'ai de la peine à dormir ces jours, je l'ai donc entendu et je suis venu voir ce qu'il se passait. En vous voyant, je vous ai cru mort. Malgré tout, en m'approchant un peu je sentis votre cœur battre si vite que j'eus peur que votre poitrine se rompe. Je vous ai donc porté jusque dans votre lit et me suis occupé de vous jusqu'à maintenant. Vous devez être dans un sale état.
— Ça va, ne t'inquiète pas. Le malaise est passé.

Les Filles du Diable, premier cycle  : GLASTONBURYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant