Chapitre 13 : Innocence

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— Rentrez au château !

Les ordres du pauvre soldat moururent étouffés par les cris, les langues enflammées de la mort rongeaient petit à petit le village tandis que des hommes, ou des bêtes selon certains sortaient de la forêt par centaines.

Je n'avais jamais vu de tels guerriers, je pense que la plupart mesuraient deux mètres de haut et portaient de lourdes armures en peaux et d'immenses haches. Je ne crois pas avoir vu quelque chose d'aussi terrifiant depuis. Même les sauvages de Glastonbury semblaient doux par rapport aux hommes du nord. Ils ne venaient pas pour se nourrir ni pour les terres. Seulement le pillage et l'or les intéressaient. Ils violaient les femmes et tuaient les hommes. Les plus jeunes avaient la « chance » d'être emmenés dans le camp pour finir comme esclave. Je doutais malgré tout qu'ils y survivent bien longtemps.

Ce village que j'avais tant connu, ses rues de terre et son puits peu profond, je les connaissais par cœur. Tout disparu en une nuit, même si cette nuit fut plus éclairée que beaucoup de mes sombres journées. Le feu des maisons de pailles éclairait tout le royaume et même les étoiles semblaient se cacher face à cette horreur.

Mais mon âme se brisa lorsque je la vis, la robe déchirée, maculée de sang et les yeux emplis de terreur. Sa mère avait été égorgée après qu'ils en aient fini avec son corps. Un homme prit l'enfant par le bras comme si elle n'était qu'une simple poupée de chiffon. Je savais ce qui allait lui arriver, mais je ne voulais pas le savoir. Mon cri perça le ciel pour atteindre son cœur brisé. Je pleurais comme je ne l'avais jamais fait auparavant, je pleurais de haine, de rage et de désespoir. Son regard vint se poser sur moi, je sus à ce moment qu'elle m'aimait aussi.

Son innocence s'écoulait doucement par les déchirures de sa robe, le guerrier prêt à la détruire. Il se pencha sur elle pour sentir son odeur, mais elle le frappa au visage par dégoût. Elle devait espérer qu'il la tuerait pour cet affront, mais il ne fit que rire et arracher ce qui restait de sa robe. Je criais encore et encore, mais nul ne m'écoutait. Jade me fixait, son regard d'ange est encore Mais Dieu n'en avait pas décidé ainsi, un flèche traversa le cœur de la fille que j'aimais. Une flèche de pitié, de miséricorde. Mais j'étais trop jeune pour comprendre. Je vis un sourire doux se dessiner sur les traits fins de son visage, son âme la quitta doucement tandis que son innocence demeura. Mon père se tenait à mes côtés, la corde de son arc vibrait encore. Il me fallut du temps pour comprendre et il me faudra une éternité pour le pardonner.


L'odeur âcre de la mort régnait surpassant la douceur de la lavande. Le ciel teinté de mort s'assombrissait alors que les quelques sauvages survivants retournaient dans les bras de leur forêt tout en emportant avec eux le cadavre putride de mon ami. Nous avions gagné, mais la victoire était bien plus qu'amère. Tant de corps gisaient au sol que nous n'aurions pas le temps de les enterrer avant que le temps et le soleil ne les abîment.


- Tu as grandi on dirait, dit Eric alors que je restais crispé contre son armure froide.

Il prit un regard plus sérieux, comme s'il se rappela soudain qu'il venait de sortir d'une bataille.

- Tu n'es pas blessé ?

- Je, je vais bien, je crois. Que fais-tu là, je... Pourquoi es-tu venu ? Je suis...

Je parlais comme un enfant, sans trouver mes mots. Mes pensées flottaient dans ma tête comme un bateau en mer, rien n'était clair. Je me souvenais à peine d'où je me trouvais.

- Va te reposer Randall, nous reparlerons plus tard.

Mon frère salua le général Stan comme un ancien ami et ils allèrent tous deux voir comment se portaient les blessés. Les moines survivants sortirent de l'abbaye pour admirer l'étendue du massacre, ils prièrent pour les morts et nous aidèrent à rendre honneur aux morts. Mais nous ne vîmes nul abbé en ce jour sombre, il resta bien au chaud. Probablement au coin d'un bon feu, loin de tout, loin de la mort qu'il avait apportée.

Les Filles du Diable, premier cycle  : GLASTONBURYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant