La matinée laissait perler le bout de son nez sur les plaines de Northumbrie, le château de père s'élevait sur la colline dominant tout le village de Knaresborough. La vie se mettait doucement sur son chemin tandis que les premiers rayons du soleil frottaient les toits de paille du village. Je ne pouvais détourner mes yeux de la belle Jade, ses cheveux blonds flottaient dans le vent et caressaient les herbes hautes du printemps. Le soleil faisait refléter la douceur de la plaine dans ses yeux remplis de bonté. J'étais jeune, inconscient et elle devait être une des premières filles que je vis. Je ne savais à peine ce qu'elle était, mais chaque matin je ne pouvais m'empêcher de la regarder durant des heures et des heures, attiré vers elle par une corde invisible que je ne voulais briser.
Depuis l'incident avec la sauvage, j'étais interdit de sortie jusqu'à nouvel ordre, et de toute manière j'aurais été incapable d'aller lui parler. Les femmes restaient un mystère pour moi, une race à part qui ne me parlait pas et m'ignorait. Je vivais dans une fratrie sans la présence d'une mère et tous nos serviteurs étaient des hommes sous-ordre de père. Elle fut donc la seule vitrine de féminité que je vis tout au long de ma vie. Je voyais donc les femmes comme des joyaux, belles, rares et sans aucun défaut. Des êtres bien différents de nous, de nos rêves de combats et de nos guerres futiles. Je rêvais secrètement d'être une femme, être libre et admiré de tous.
Pourquoi devons-nous croire ? Que se passera-t-il si je ne crois plus ? Et s'il n'existait pas, et si nous nous trompions. Des paroles insensées pour un moine. Mais elles restèrent dans ma tête des jours durant. Allais-je devoir vouer ma vie à un Dieu que je ne connais pas, que je n'ai jamais vu, qui n'existe peut-être pas ?
Je marchais lentement pour me rendre à ces prières qui ne signifiaient plus rien pour moi. Je ne faisais que répéter des mots sans y croire. Ma seule raison de vivre se trouvait la nuit, lorsque tout le monde est assoupi et que je pouvais sortir du cloître afin de reprendre un bol d'air frais avant de retourner vivre en apnée. Je m'assis seul dans les jardins pour méditer, mais Tristan vint à mes côtés avec un air étrange.— Comment vas-tu ? Tu sembles ailleurs ces derniers temps, mon frère.
— Je, je réfléchis beaucoup, ne t'en fais pas.
Une petite vérité valait mieux qu'un mauvais mensonge.
— Randall, sans être indiscret, que faisais-tu dehors cette nuit où je t'ai retrouvé ? Je te vois souvent partir lorsque tout le monde est endormi et revenir quelques heures plus tard. Je comprends que tu veuilles garder le secret, mais tu devrais te reposer. Tu sembles terriblement fatigué. Si tu ne veux garder tes secrets, je comprends. Mais si d'autres que moi découvrent cela, tu pourrais avoir des ennuis.
Son ton pouvait évoquer une menace, mais ce n'en était pas une, il semblait sincèrement s'inquiéter pour moi. Je ne pouvais prendre aucun risque, et divulguer quoique ce soit sur Fae nous mettrait tout les deux en danger. Je n'aimais pas mentir à mes proches, si peu nombreux qu'ils soient.
— Sortir de cette chambre me fait du bien, marcher dans les couloirs, aller dans les jardins. Je sais que cela pourrait être suspicieux, mais je ne peux m'en empêcher d'écouter les chants de la nuit et regarder les nuages éclairés par la lueur de la lune. Je me sens mieux hors du cloître, je n'arrive pas à retenir ce désir d'évasion, mon frère.
— Sortir au village ? me demanda-t-il en tentant de ne pas crier.
— Non ! Non ! Bien sûr que non. Juste sortir de l'abbaye, mais toujours dans les murs. Comment voudrais-tu que je les escalade pour revenir, c'est insensé ?
Il eut un petit sourire narquois qui m'interpella...
— Évidemment ! Tâches de ne pas éveiller les soupçons surtout, je ne veux pas qu'il t'arrive malheur, mon frère.
Il se leva et partit. Je retournai à ma méditation, le regard perdu dans le vide et l'esprit vagabond. Le temps passait avec une lenteur terrible avant la nuit. Les livres à recopier étaient ennuyeux ce jour-là, tout comme les trente derniers. Je pouvais laisser une page blanche durant des heures tandis que mon esprit divaguait sur mes prochaines missions. Comment ne pas me faire voir, où trouver telle ou telle clé ainsi que comment la rendre ? Je ne pouvais retirer ces vers de mon esprit, ils me dévoraient petit à petit ne laissant plus que de moi un outil à la solde d'une folle.
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Les Filles du Diable, premier cycle : GLASTONBURY
Ficção HistóricaRandall, troisième né d'une puissante famille du royaume d'Angleterre se retrouve forcé à rejoindre les frères de l'abbaye de Glastonbury pour y passer une vie longue et monotone. Enfermé entre quatre murs, la solitude va le ronger lui faisant prend...