Chapitre 2 : Le convoi

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Lorsque Eric me racontait des histoires, j'aimais me poser à côté du foyer, la chaleur du feu et la douceur de sa voix contrastaient terriblement avec l'horreur de ses récits. Je me remémore encore ce soir où notre père et notre aîné étaient partis dans un duché voisin afin d'établir des accords commerciaux. Eric, étant plus âgé que moi, avait pour devoir de me garder. Et donc comme à son habitude il commença à me raconter ses aventures sanglantes. Ce soir-là, il me parla d'un raid qu'il avait lancé sur un camp de bandit qui terrorisait les environs. Lorsqu'il me narrait ses histoires, les détails étaient ce qui comptait le plus à mes yeux. Je lui demandai même le positionnement de ses pieds et de ses hanches au moment d'asséner le coup fatal au chef des brigands.


Après lui avoir tranché la gorge sans une once de remords, mon frère finit victorieux avec pour seule blessure une entaille à la jambe. Deux de ses compagnons étaient tombés et ils furent enterrés avec honneur. Mais la petite troupe découvrit vite qu'il ne s'agissait que d'une infime partie des hommes terrorisant ces plaines. Ils devaient donc savoir où se trouvaient les autres afin de terminer leur mission.


- Randall, la torture ne m'a jamais plu, mais elle est parfois nécessaire. La souffrance est un sentiment complexe. En premier lieu, elle définit ce qui est dangereux pour nous. Mais lorsqu'un homme commence à se noyer dans la douleur, il perd la raison, il perd le sens de sa vie. Son seul but devient la survie, il ne s'occupe plus de son bonheur, de son futur ou de son passé, seul le moment présent compte. La douleur le ramène à ce moment, elle devient son point d'accroche sur sa vie. Elle permet de lui rappeler qu'il est toujours de ce monde. Sa peine devient salvatrice et il commencera à la demander, à la supplier même. La religion pense que ce désir vient du diable lui-même, car selon eux, seul Satan peut demander de souffrir. Mais d'après moi, ce n'est qu'un simple réflexe de survie que l'homme utilise en dernier recours, une façon d'échapper à la souffrance en la rendant nécessaire...



En entrant dans l'abbaye je me suis très vite demandé si l'on pouvait apprécier l'ennui. Et oui, on s'y habitue plus ou moins, mais le sentiment de vide restera toujours. J'ai souvent pensé à m'enfuir, mais je n'ai jamais eu le courage. Je ne pourrais jamais affronter le regard de mon père sachant que j'ai fui mon devoir. Donc durant plusieurs années, j'ai suivi les ordres comme un bon petit moine. Mes tâches n'étaient pas très variées, mais plus ou moins intéressantes. Le laboratoire de botanique permettait à l'abbaye de produire diverses potions médicinales qui étaient revendues aux villages avoisinants ou à des marchands les emportant vers des contrées lointaines.


La spécialité de Glastonbury était évidemment la copie de textes religieux ce qui représentait une majeure partie de mon travail. C'est un art qu'il faut pratiquer pour y exceller et, malgré tous les efforts du monde, je ne pus jamais créer d'œuvres dignes de trôner dans notre bibliothèque. Il faut aussi avouer qu'écrire n'était pas une tâche que j'affectionnais particulièrement.

Ce que je désirais, c'était lire les ouvrages faits par des gens bien plus doués que moi. J'appréciais particulièrement les livres de botanique ainsi que ceux sur l'histoire de notre royaume. Et c'est grâce à cela que pour la première fois j'appris l'existence d'autre religion. Les livres les considéraient toutes comme impie, mais aucune preuve n'étayait le fait qu'il ne pouvait exister un seul Dieu et que le nôtre était le bon. Ma curiosité alla aussi sur le peuple des Romains, anciens occupants des terres de Bretagne. Leur civilisation me semblait passionnante. Dans mes nombreuses lectures, je croisais souvent un mot dont la signification me paraissait étrange ; l'ars cela semblait être un mot reliant divers ouvrages humains tels que la peinture, la sculpture ou le théâtre. Mais ce qui n'était pas assez beau ou ne procurait pas assez d'émotion ne méritait pas ce terme selon eux. Cette doctrine dirigeait leur monde, ceux exerçants l'ars étaient vu comme des membres très haut placés de leur société. Le beau et le bon avaient une place toute particulière dans le monde Romain. Cela semblait avoir quelque peu disparu et je me surpris à envier cette société datant d'un millier d'hivers.

Les Filles du Diable, premier cycle  : GLASTONBURYOù les histoires vivent. Découvrez maintenant