Chapitre XVI - Premier jet

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    Si Naïra était relativement obéissante, acceptant régulièrement de me laisser le contrôle ou n'essayant pas de le prendre de force, Abraxius était bien plus rustre de ce point de vue. Ainsi, à peine Henry eut-il déposé une assiette de saucisses et de lard, que mon âme renard me força à me jeter sur la nourriture et à l'engloutir à une vitesse bien trop vulgaire pour une lady bien éduquée. J'eus beau protester et taper du pied mentalement, rien n'y fit. Toutefois, je pouvais comprendre son empressement : il avait utilisé une quantité phénoménale d'énergie pour me sauver et, actuellement, j'avais donc cruellement faim. La chasse qui nous attendait risquant d'être elle aussi exténuante, je ne pouvais partir à la poursuite de mon agresseur sans d'abord manger. Mais de là à imiter un animal affamé !! De plus, sous ma forme humaine !!

    Une fois rassasié, il me força à me transformer et s'ébroua. Je pouvais sentir son contentement à l'idée de pouvoir enfin se déplacer. Je le laissais descendre jusqu'au premier étage, notant la confusion dans les yeux des domestiques que nous croisons. Derrière moi, je pouvais entendre les pas précipités de notre majordome personnel qui nous suivait à la trace, sûrement quelque peu inquiet de mon comportement étrange. Il n'avait encore jamais rencontré la dernière âme qui sommeillait en moi et il devait être anxieux à l'idée de servir ce nouvel "invité".

    Mais Abraxius ne se préoccupa pas une seule seconde des autres personnes et, la truffe collée contre le seuil des portes, il les renifla et les passa une à une, jusqu'à enfin trouver mon bureau. D'un coup de patte avant, il en ouvrit le battant et s'engouffra dans la pièce, son regard semblant chercher quelque chose de précis. Il dédaigna la causeuse, le fauteuil, la table basse et les buffets, et se précipita vers mon bureau. Il ramassa délicatement quelque chose par terre qui me paraissait vaguement familier.

    N'est-ce pas le fameux faux talisman que m'a offert le coiffeur sur Piccadilly Street ?

    C'est un véritable talisman, marmonna-t-il tout en commençant à faire demi-tour. Il t'a protégé contre le sorcier et pourra encore être utile.

    Et, sans autre explication, il sortit de la pièce et dévala à toute vitesse les escaliers jusqu'à l'entrée. Sans s'arrêter une seule seconde, il franchit le seuil du bâtiment et contempla la foule qui s'était amassée à ses pieds.

    La meute comptait de nombreux jeunes membres qui pouvaient non seulement se montrer rustres, mais également très territoriaux. D'un autre côté, je ne me transformais pas assez pour qu'ils me reconnaissent et je ne m'attendais donc pas à être accueillie à bras ouvert. Mais de là à grogner et à se recroqueviller, prêts à me sauter dessus...

    Quel manque d'éducation !

    En même temps, je ne ressemblais aucunement à l'un des leurs. J'étais plus courte sur pattes, avec un corps plus allongé et un museau plus étroit. Ma queue était également plus dense et longue, terminée de noir tout comme mes pattes et mes oreilles. Enfin, une unique tache blanche ornait également mon poitrail, contrastant avec mon pelage roux flamboyant. Pas exactement un loup, mais pas exactement un renard non plus. De quoi en rendre plus d'un confus.

    Toutefois, ces tentatives d'intimidation n'inquiétèrent en aucun cas Abraxius. Il se concentrait, truffe au vent, sur les traces magiques qui hantaient encore les environs. Ses sens étaient si puissants, que je pouvais deviner le chemin des dryades et des vampires dans le parc rien qu'à leur odeur. Et, au milieu de ces fragrances de fer, de sève et d'herbe coupée, je sentais...

    ...de la résine et des fleurs séchées.

    Immédiatement, le renard dans mon esprit s'immobilisa. Sa rage grondait tout autour de moi, prête à m'avaler dans un torrent de violence et de chaos. Ses muscles se tendirent, l'adrénaline coulant à flot dans ses veines.

Le voleur d'âmesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant