18 - La dualité de Lucinda

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Le lendemain et le jour suivant, toutes les écoles de la ville étaient fermées. Mais pas les associations, et comme tous les mercredis, Ciel se rendit à son cours de danse. Pour une fois, Philomène l'autorisa même à y aller seule à pieds. Ses cheveux lâchement retenus par un chouchou, tentant de ménager son justaucorps dont une couture avait craqué, l'enfant laça ses chaussons à la hâte. Ce jour-là, elle voulait simplement danser. A l'appartement, Philomène avait été trop énervée pour la laisser mettre de la musique. Malheureusement, elle était en avance, et elle devait attendre.

Finalement, la danse classique n'était pas si mal. Ciel apprenait la patience, la ténacité. Répéter une centaine de fois le même mouvement avant de pouvoir l'exécuter correctement. Supporter la souffrance pour atteindre la grâce. C'était toujours la danse, c'était toujours la liberté. Mais la liberté durement acquise. La liberté pour laquelle il fallait se battre. Une liberté plus méritée, en quelque sorte.

Les pensées de la jeune fille furent coupées par la soudaine prise de conscience que quelqu'un l'observait. Elle l'observa en retour. C'était l'une des danseuses. La plus petite, celle qui n'avait que huit ans et qui ne parlait jamais. Elle ressemblait beaucoup à Ciel au même âge : toute fine, petite, gracieuse comme un oiseau, avec une peau terne et ses cheveux tout lisses couleur feuille d'automne.

-Tu es l'amie de ma sœur ? demanda-t-elle de sa petite voix flûtée.

Ciel pencha la tête sur le côté, perplexe.

-Je demande ça parce qu'elle fait que parler d'une fille qui s'appelle Ciel, et je pense pas que beaucoup d'autres gens s'appellent comme ça. Tu es au lycée Hisaishi, c'est ça ?

-Oui, mais c'est qui ta sœur ?

-Ben, Lucinda. Tu as pas remarqué qu'on avait le même nom de famille ?

Ciel réfléchit.

-Hum... je crois qu'en fait je connais pas son nom de famille. Ni le tien, d'ailleurs.

La petite fille sourit légèrement.

-Je m'appelle Gabrielle Debrève ! Je...

A cet instant précis, Françoise les appela pour commencer le cours, et elles n'eurent pas l'occasion de faire plus ample connaissance. Mais pour une fois, lorsque la professeure demanda à ses élèves de se mettre par deux, Ciel n'eut pas à attendre que la dernière personne restante la rejoigne en soupirant, résignée. Contrairement aux autres binômes, elle et Gabrielle n'échangèrent pas un mot. Elles échangèrent des regards, des pressions légères de la main. Une aide discrète. L'esprit de la danse.

A la fin du cours, alors que Ciel se rhabillait, Gabrielle lui sourit en lui disant "au revoir". La collégienne sourit en retour. Les autres pouvaient bien se moquer de son handicap, du jeune âge et du silence de Gabrielle, elles pouvaient bien les exclure. Mais dorénavant, elles étaient alliées. Et puis, ce jour-là, pendant un instant, elle avait senti qu'elle ne boitait plus. Cela n'avait duré qu'une seconde, mais c'était suffisant pour lui rendre tout son espoir.

Les élèves ne retournèrent à l'école que pour deux jours avant les vacances de Noël. Pendant ces deux jours, l'atmosphère au lycée Hisaishi fut plus allègre que studieuse. Les garçons portaient des bonnets de Noël et les filles des bijoux à clochettes, comme le voulait la tradition de l'école. Techniquement, cela n'était pas autorisé ; chacun faisait donc preuve d'une discrétion très relative. Evidemment, aucun professeur n'était dupe. Cependant, ils faisaient tous preuve d'indulgence. La rumeur prétendait d'ailleurs que certains se déguisaient eux-mêmes pendant leurs classes. La salle du Magic Club était décorée de guirlandes brillantes, d'étoiles colorées, de petits personnages, de flocons de neige autocollants. Les mages qui savaient le faire apprirent aux autres à geler l'eau pour faire des sculptures de glace. Lou eut l'idée de d'ajouter du sirop afin d'obtenir de jolies couleurs. Mais elle s'aperçut ensuite que le résultat obtenu était semblable à une glace à l'eau. Un joyeux goûter prit donc place dans le petit local.

Les Âmes des Jours de PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant