9 - Un autre monde

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Ce séjour eut pour effet de profondément déstabiliser Ciel. Pendant les dix dernières années, la vie avait toujours été dure, mais simple : il y avait elle, Papa, le reste de leurs colocataires, l'amour et le malheur. Mais une inconnue était soudainement apparue dans l'équation : Phil avec ses yeux innocents, son bel appartement et ses livres. Et son fils, aussi. Qui était-elle vraiment ?

"Elle n'est pas ma maman ! " se disait l'enfant.

En effet, comment aurait-elle pu l'être, sans amour pour elle ? Ce n'était pas possible. Certes, elle avait légèrement paru l'aimer pendant ce week-end ; mais même alors, que valait cet amour après l’abandon et les années passées sans se soucier d'elle un tant soit peu ? "Si elle était ma maman, vraiment, elle m'aurait aimée dès que j'étais née", songea la petite fille.

Une seconde interrogation se posait à elle : pourquoi Phil aimait-elle David, si elle n'aimait pas Ciel ? "Elle n'est pas logique, on est tous les deux sortis de son ventre !" Mais peut-être préférait-elle le père de David...

"Pourtant, elle ne le connaissait pas à l'époque où elle aimait Papa, si ? Je crois pas, sinon elle serait sortie avec lui directement et elle m'aurait pas fait naître..."

Papa était lui aussi perturbé. Le premier soir, le dimanche, il était si renfermé, et il avait une telle aura de tristesse que sa douleur était aussi flagrante qu'une baleine sous un gravillon. Il était tourné vers un mur, ressassant ses pensées. Ciel se glissa entre eux deux.

-Papa... Je sais que ça te fait mal de la voir... C'est parce que tu l'aimes encore ?

Il s'essuya les yeux et répondit :

-Tu dois trouver ça tellement bête... Ça fait presque onze ans qu'elle m'a fait comprendre très clairement qu'elle ne m'aimait plus, elle est passée à autre chose, elle a même eu un enfant. Et moi... je suis totalement incapable de cesser d'être amoureux, c'est tellement pathétique...

Il s'interrompit un instant pour reprendre sa respiration.

-J'essaie de l'oublier, j'essaye vraiment, je fais des efforts, mais... mais chaque instant...

-Tu peux pas l'oublier tant que je suis là, murmura Ciel. Quand tu me vois...

-Je vois son visage, termina Papa. C'est le même, tellement le même. Surtout maintenant que tu as grandi. Je te vois, je la vois, et je ressens de l'amour et du désir.

Ciel essuya lentement toutes les larmes sur les joues de Papa.

-Je ne vois pas de problème, chuchota-t-elle.

Il la dévisagea, puis lui prit la main et entrelaça leurs doigts.

-Il y en a un ?

Ciel rougit violemment et partit se coucher, un nœud dans le ventre. Pendant des semaines, ils n'évoquèrent plus du tout le sujet de Philomène. Jusqu'à ce jour du début de juillet où Papa déclara devoir parler à Ciel de choses importantes. C'était vers midi, un jour sombre, un jour mauvais. Les nuages noirs se rassemblaient dans le ciel. Papa et Ciel s'assirent en face l'un de l'autre et il engagea la conversation.

-Phil m'a contacté, il y a quelques jours. Elle veut te revoir.

La première réaction de Ciel fut la colère.

-Mais je veux pas moi ! Je veux plus jamais retourner chez elle !

-Oh, du calme princesse. Elle a bien compris que sa maison, c'est pas une bonne idée. Du coup, cette fois, elle propose de t'emmener à la fête foraine.

Ciel ouvrit la bouche pour refuser une nouvelle fois, mais Papa fut plus rapide qu'elle.

-Attends, j'ai pas fini ! D'après ce qu'elle m'a dit, il y aurait une autre petite fille, une vague cousine ou parente à elle qu'elle garde pendant les vacances.

Les Âmes des Jours de PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant