22 - Impossible

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L'appartement semblait tellement vide. D'abord, à cause de l'absence de David. Ses rires et ses pleurs avaient rythmé leur vie. Dans n'importe quel moment de gêne, de joie, de fatigue, d'ennui, de colère, les états d'âme importaient peu : un bébé demandait toujours de l'attention. Il fallait toujours se lever pour s'occuper de lui. Se tenir prêt. Alors que maintenant, si plus aucune motivation n'animait Ciel, et bien rien ne l'empêchait de rester assise, immobile, les yeux vagues.

Ce qui l'aurait animée, ce qui l'avait animée, c'était une simple idée. La présence de quelqu'un qu'elle aimait, à peine quelques étages plus haut, et qui pensait à elle. Cette certitude lui avait donné envie de se lever, de courir. Bien sûr, elle le faisait déjàà avant de connaître Lucinda. Mais d'une manière plus automatique, pas avec la même ferveur. Elle n'avait jamais eu de but réel avant de la rencontrer.

Cependant, le changement le plus remarquable, dans ce petit appartement, c'était Philomène. Elle ne bougeait pas, ne souriait pas, ne parlait pas. Elle ne mettait pas à laver la vaisselle du dernier repas. Elle ne demandait pas à sa fille si ses devoirs étaient terminés, ne lui disait pas de ranger le salon. Elle n'allumait pas la radio, n'envoyait pas de textos à ses amies, ne vérifiait pas ses mails, ne s'inquiétait pas de la douche, du lavage de mains ou du brossage de dents. Elle restait simplement là, assise.

Elles restaient simplement là, assises, toutes les deux.

L'une sur une chaise de cuisine, l'autre sur le canapé du salon.

Refusant de poser leur regard sur quoi que ce soit, qui risquait de leur rappeler douloureusement ce qu'elles n'avaient plus.

Comme si elles n'y pensaient pas déjà.

Pour la première fois, la mère et la fille avait quelque chose en commun, qui les unissait, en quelque sorte : la perte, dévorante et destructive. Bien sûr, ce point commun ne changeait rien. Ciel haïssait autant sa mère, et cela ne changerait jamais. Elle se refusait également toujours à voir David comme son petit frère. Même si elle aurait voulu qu'il fût encore là. Arthur demeurerait toujours un inconnu, et César, quelqu'un qui ne la supportait pas. Philomène, enfin, resterait à tout jamais la meurtrière de son père.

Madame et Monsieur Debrève étaient passés les voir, dans la matinée. Pas Gabrielle. Personne n'avait évoqué cette absence. Ils avaient échangé des condoléances. Mais surtout, les parents de Lucinda avaient insisté sur un point. Ils l'avaient répété plusieurs fois à Philomène, pendant que Ciel était restée dans la cuisine.

-On voulait vous en parler, il ne faut surtout pas vous en vouloir, pour... pour notre fille, avaient-ils assuré. Nous, on ne vous en veut pas du tout, vraiment. C'est pas votre faute, ce qui est arrivé. C'était le hasard, voilà, on a pas eu de chance. Cet incendie n'était de la faute de personne.

C'étaient des gens vraiment adorables.

Sauf qu'ils avaient tort, bien sûr. Ciel en avait pleinement conscience. Elle n'était pas idiote. Même si l'enquête avait échoué à découvrir quoi que ce soit, elle savait, elle ce qui avait déclenché l'incendie.

C'était elle.

Elle.

ELLE.

Elle qui avait tué Lucinda. Elle qui l'avait assassinée. Elle qui l'avait détruite. Elle qui l'avait brûlée vive, puis ensevelie, dans une souffrance probablement immense. Elle qui l'avait fait disparaître à tout jamais. Elle.

Elle ne l'avait pas voulu, évidemment. Le feu avait profité de son sommeil pour s'échapper. Mais cela ne changeait rien au fait que c'était de sa faute. Cela faisait des mois que la magie bouillonnait à l'intérieur d'elle. De plus en plus régulièrement, ses pouvoirs lui échappaient, la dépassaient. Elle voulait aller quelque part, elle y était téléportée instantanément. Quelqu'un était blessé ou malade, il se retrouvait dans une forme olympique. Des gens se mettaient soudainement à rire ou à pleurer, sans raison apparente. Et les éléments s'agitaient dangereusement. Elle savait parfaitement qu'elle perdait progressivement le contrôle, que la magie devenait plus forte qu'elle. Alors elle aurait dû prendre plus de précautions, ou au moins se tenir prête. La personne la plus importante était morte et c'était de sa faute.

Les Âmes des Jours de PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant