13 - Désillusions

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Un mercredi, deux semaines plus tard, Philomène conduisit donc Ciel au gymnase où se déroulaient les cours de danse. Comme celui-ci n’était qu’à deux rues de l’appartement, elles s’y rendirent à pieds. La jeune femme lui avait pour l’occasion acheté une tenue spécifique, et selon elle indispensable : un justaucorps rose, une paire de collants fins blancs et des chaussons roses. Elle avait également attaché ses cheveux en chignon. Par-dessus ces vêtements, Ciel portait une veste et un pantalon, ainsi que des ballerines ; ses chaussons se trouvaient, ainsi que sa bouteille d’eau, dans un sac de sport.

Le gymnase était un bâtiment exposant et majestueux, aux couleurs extérieurs grises et marrons. A la hauteur du deuxième étage se trouvait une sorte de balcon protégé par un demi mur. La porte d’entrée était grande, composée de deux battants vitrés, à travers lequel on pouvait apercevoir le carrelage gris à l’intérieur.

Philomène poussa la porte, et toutes les deux traversèrent le grand et vide hall, jusqu’à un escalier se trouvant à l’autre bout. Ses marches étaient hautes et larges. Elles arrivèrent rapidement sur un palier.

A gauche, une vitre carrée laissait voir la salle de sport, qui prenait à elle toute seule la hauteur de deux étages. On y voyait des enfants légèrement plus jeunes que Ciel en train de jouer avec une sorte de balle jaune. A droite, il y avait une porte ouverte sur des toilettes, puis une autre, percée d’une petite fenêtre ronde. Enfin, devant elles se trouvait une troisième porte. Ce fut celle-ci qu’elles franchirent.

-Change-toi, conseilla Philomène, je vais aller voir la prof. Rejoins-nous quand tu as fini.

Ciel regarda autour d’elle. Un quart des vestiaires étaient occupés par des douches communes. Un banc courait le long des murs laissés libres, surmonté par des portemanteaux. De nombreux vêtements étaient suspendus ; d’autres étaient entassés sur les bancs ou encore par terre.

La fillette s’assit pour retirer ses ballerines, sa veste et son pantalon. Après quoi, elle mit bien cinq minutes à enfiler ses chaussons et ses lacets. Puis elle se dirigea vers la seconde porte des vestiaires, celle par laquelle Philomène avait disparu.

Lentement, Ciel gagna cette porte et s’avança dans la salle de danse. C’était la première fois qu’elle marchait avec ses chaussons. C’était étrange… Tant de douceur, tant de volupté, étaient presque déstabilisantes, mais en même temps, elle aurait voulu ne plus jamais les retirer.

La forme de la salle était assez étrange : on aurait dit un demi-cercle auquel on aurait retiré une portion. Le sol était fait de lino rouge et orange, avec de petites et discrètes taches mauves, comme si quelqu’un avait fait de la peinture et n’était pas parvenu à tout nettoyer. En face, ne barre de bois longeait le mur, soutenue à intervalle régulier par des pieds de métal blanc. A gauche, le mur était orné de fenêtres donnant sur le balcon, bien qu’aucun accès visible ne permît d’y accéder. Enfin, à droite se trouvait un long miroir, interrompu seulement par la porte à la fenêtre ronde. Ciel observa son reflet. Ce fut à peine si elle se reconnut dans cette délicate silhouette, fine et gracieuse.

Dans la salle se trouvait une dizaine d’autres danseuses en train de se courir après en riant. Seules deux ou trois restaient timidement dans leur coin, assises ou appuyées contre un mur. Plus loin, Philomène discutait avec une dame, probablement la professeure de danse. Avant que Ciel n’ait pu l’observer plus en détail, Philomène la vit et se dirigea vers elle. La fillette s’immobilisa au milieu de la salle. Lorsque sa mère arriva à la hauteur, elle se pencha et murmura :

-C’est bon, tout est réglé. J’y vais, amuse-toi bien. Je reviens te chercher à la fin du cours.

Et elle repartit vers la sortie. L’enfant reporta son attention sur la seule adulte maintenant présente. C’était une dame plutôt âgée, droite et sèche, aux cheveux courts. Ciel se sentit d’abord sceptique : cette simple bourgeoise pouvait-elle vraiment leur enseigner cet art si subtil qu’était la danse ? Etait-il vraiment possible qu’elle ait plus de savoir à ce sujet que Ciel ? Mais si cette dame était là, ce n’était probablement pas par hasard. Peut-être cachait-elle en elle une véritable magicienne de la danse, une grande âme d’artiste. Qui était-elle vraiment ? Son art la rendait proche de Ciel, et elle eut alors envie de la connaître, de la comprendre. Si elles étaient des danseuses, elles étaient pareilles. Les autres fillettes n’avaient pas à interférer là-dedans ! Elles n’étaient que de petites bourgeoises qui s’ennuyaient. La danse n’avait certainement pas sauvée leur vie, contrairement à celle de Ciel.

Les Âmes des Jours de PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant