Les Âmes des Jours de Pluie

11 - Seconde vie

Ciel resta inactive pendant une semaine. Elle était couchée dans "son" lit chez Philomène. Dans l'appartement s'agitaient David, Phil et son frère César ; et ils venaient régulièrement la voir. Mais Ciel ne faisait pas attention à eux. Elle n'avait pas de fièvre, mal nulle part ; seule son âme avait été blessée. Finalement, au bout d'une semaine, un matin, elle se leva et vint dans le salon.

Philomène était en train de lire sur le canapé, et David jouait sur le tapis. César était rentré chez lui la veille. Lorsque Ciel entra, sa mère leva les yeux vers elle, et l'enfant dit d'une voix légèrement chevrotante :

-Je veux rentrer à la maison.

Philomène posa son livre.

-Ecoute, je sais que c'est difficile à accepter, mais c'est ici ta maison, maintenant.

Ciel secoua énergiquement la tête de droite à gauche.

-Non ! C'est pas chez moi. Je sais que Papa est... plus là... mais les autres s'occuperont bien de moi.

-Je suis désolée, mais je ne peut pas te laisser avec une bande de mendiants. A partir de maintenant, je vais m'occuper de toi. C'est normal, tu sais, je suis ta mère après tout. J'ai déjà réglé tous les détails administratifs. Heureusement, ton père avait déclaré ta naissance.

-C'est pas juste ! Tu devrais pas dire "heureusement qu'il l'a fait", tu devrais l'avoir fait toi-même, si tu veux être ma mère et responsable de moi !

Philomène tenta de parler, mais Ciel ne la laissa pas faire.

-Tu m'as abandonnée, tu as oublié ? Alors arrête de parler comme si tu te souciais de moi, parce que ça me donne envie de vomir !

-Tu exagères ! Je me suis toujours souciée de toi. D'ailleurs, si tu te rappelles, je vous ai donné de l'argent, et de quoi te couvrir.

C'en était trop. Ciel explosa.

-Quoi ? Mais on s'en fout de ça ! On avait pas besoin d'argent ou de cadeaux, c'était de toi qu'on avait besoin ! Il avait besoin de toi, il a jamais cessé de t'aimer, il pensait à toi tous les jours, et moi, j'avais besoin d'une maman... Si tu l'avais pas abandonné, tout ça ne serait jamais arrivé ! C'est de ta faute si il est mort !

-Ciel... Je n'étais plus amoureuse de lui, ce sont des choses qui arrivent dans la vie...

-N'importe quoi ! Tu l'as laissé tomber parce que je suis née, je le sais bien ! Tu l'as juste abandonné à cause de moi, parce que t'avais trop peur de prendre tes responsabilités !

-J'avais quinze ans ! J'étais une gamine ! Tu comprends, toi, ce que ça fait, d'avoir un enfant à cet âge-là ? C'est pas naturel ! Il m'a... Il m'a volé mon enfance...

-Déjà, t'étais plus une enfant, à quinze ans. Tu dis qu'il t'a volé ton enfance, mais c'est pas vrai, t'étais presque une adulte. Par contre, mon enfance à moi, c'est toi qui me l'a volée ! Comment tu crois qu'on peut être enfant quand on est obligé de mendier pour survivre ? J'ai pas eu droit à une vraie enfance, alors tes excuses débiles, tu peux les garder !

-Tu peux pas comprendre, je te signale, t'étais même pas née à l'époque ! Il m'a... détournée du droit chemin. J'ai failli rater ma vie à cause de cette histoire d'amour stupide. J'avais plus de vie sociale, je faisais plus attention à rien. Je travaillais plus, j'ai même dû redoubler une classe. Tu vois ce bracelet ?

Ciel observa le bijou en question. C'était un simple cordon rose vif orné de petites décorations en métal argenté. Philomène continua :

-C'est un bracelet que j'ai eu à la fête foraine. Ce jour-là, ça a été la dernière fois que je sortais avec une amie. Après ça, il m'a accaparé. J'avais des millions d'amis, tout le monde m'appréciait, ils comptaient sur moi. Mais je les ai tous laissés tomber, parce qu'il m'aveuglait. Et ça, c'est horrible. Milena, celle que tu as vue l'autre jour, elle a énormément souffert, elle tenait beaucoup à moi. Elle a pleuré pendant très longtemps. Et ça a été la même chose pour d'autres. Tout ça à cause de ton histoire avec ton père.