17 - La goutte d'eau

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Chacune à son tour, les deux filles prirent un verre, soulevèrent leur plateau et allèrent s'installer l'une en face de l'autre à l'une des nombreuses tables libres de la cantine. Après avoir posé son plateau rouge sur la table verte et s'être assise sur la chaise orange, Ciel regarda sa camarade.

La fille était plus âgée que Ciel d'un an, et de fait elle était un peu plus grande. Elle n'avait pas vraiment de beauté naturelle. Sa chevelure était composée d'abondantes boucles rousses, mais elles étaient ternes et emmêlées. Elle avait des yeux très communs, petits et éteints, retranchés derrière d'épaisses lunettes à monture métallique rouge. Son visage était mangé par l'acné juvénile Bien sûr, tout cela se serait facilement oublié si elle ne se tenait aussi repliée et renfermée sur elle même. Sa manière d'éviter les regards comme si elle y était allergique attirait forcément l'attention sur elle.

Ciel soupira.

-C'est quoi ton nom, déjà ?

-Lucinda, murmura la fille en rougissant, comme si elle avait honte de son nom. Ciel se força à lui sourire gentiment.

-C'est un très joli nom, je trouve !

Lucinda releva légèrement la tête et la regarda d'un œil incrédule.

-Mais c'est horrible comme prénom ! On dirait un truc du Moyen-âge.

Ciel soupira de nouveau. Cette fille était vraiment étrange. Elle paraissait avoir peur de tout. Si quelqu'un lui parlait, elle se cachait derrière ses cheveux, répondait vaguement dans un murmure, et fuyait. Elle était si effrayée qu'elle ne donnait jamais vraiment son avis, restant neutre et discrète. Au moins, sa dernière réplique était un léger progrès. Elle s'était clairement exclamée sur ce qu'elle pensait. Mais bon, il n'y avait pas non plus de quoi sauter de joie. Elle avait surtout exprimé un complexe. Une négation d'elle-même, de tout ce qui pouvait être positif.

-Bon, Lucinda, si tu me parlais un peu de pourquoi tu as pleuré tout à l'heure ?

Après avoir prétendu que "le monde était perdu", la jeune fille n'avait rien voulu expliquer.

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Etant donné qu'elle portait le tatouage à l'encre de Boucle, et qu'elle s'était souvenue qu'elles prenaient le même bus, Ciel lui avait proposé d'aller ensemble au local du club. Mais Lucinda avait refusé. Aussi étrange que cela puisse paraître, elle ne semblait pas aimer être au quartier général. En fait, elle avait même demandé à Ciel de la laisser toute seule, de ne pas se soucier d'elle. Bien entendu, celle-ci avait refusé. Elle n'aurait tout de même pas abandonné à elle-même une fille en larmes, qui n'avait rien fait de mal, aussi agaçante et illogique soit-elle.

-Qu'est-ce que tu voulais dire par « ce monde est perdu » ?

Lucinda refusait de la regarder.

-Tu vas me trouver bizarre.

-Ecoute, déclara Ciel en tentant de ne pas s'énerver, la moitié des gens de ce lycée me détestent ou me considèrent comme une extra-terrestre. Alors, c'est pas moi qui vais critiquer les gens parce qu'ils sont différents. Et puis, sans vouloir te vexer, je te trouve déjà assez bizarre. La seule manière de changer ça, c'est de te comprendre. Donc, que tu m'expliques.

Lucinda hocha la tête, puis chercha ses mots.

-Tu lis des livres de style fantastique ?

-Ouais, un peu.

-Ben tu vois, les mondes là-dedans sont... magiques. Les ados vivent des aventures incroyables. Il y a des guerres, des intrigues, des créatures magiques. Les histoires d'amour sont éternelles. Les vies sont pleines de rebondissement. Les gens se battent et tout. Alors qu'ici... C'est... pas pareil. C'est ennuyeux. On peut pas faire ce qu'on veut. Et puis, les gens sont stupides. Egoïstes. Incapables de comprendre, de voir plus loin que leur ombre. Je déteste ce monde.

Les Âmes des Jours de PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant