21 - Jours emportés

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Allongée sur le lit d'hôpital, dans cette chambre vide et stérile, sans couleurs, elle n'avait rien d'autre à faire que fermer les yeux et se souvenir...

Jeudi 7 février

Je suis dans la cour de l'école. Il fait froid, le ciel est blanc. J'ai entendu dire qu'il va bientôt neiger. J'espère que non. Rien que de penser à l'humidité s'infiltrant dans mes chaussures, je frissonne. Non, en fait, je frissonne parce qu'il fait vraiment froid. Je devrais marcher pour me réchauffer. Mais je ne peux pas, j'attends Lucinda. Je lui ai promis de l'attendre ici pour qu'on aille manger ensemble à la cantine.

Je la vois arriver de loin, et je l'entends, mais quelque chose cloche. Elle pleure. Ses larmes me mettent en colère. Bien sûr, ce n'est pas quelque chose d'extraordinaire. Ma meilleure amie pleure très souvent. Pour commencer, devant les films, ou en écoutant de la musique. Je l'ai vue un millier de fois. Mais là, c'est différent. Ce ne sont pas des larmes d'émotion. Mon amie est triste, elle se sent vraiment mal, je le vois bien. Après tout, je suis une Artiste.

Elle s'approche et je la regarde. Elle tremble un peu. Elle n'ose pas lever les yeux. Je lui demande ce qui ne va pas, bien sûr, mais elle n'ose pas répondre non plus. Je m'y attendais. La pauvre. Je sais bien que ce n'est pas l'endroit idéal, il y a des gens par ici et certains la regardent. C'est comme ça que je comprends. Grâce à cette crainte encore plus visible que d'habitude qu'elle manifeste envers ces gens. Je murmure pour que personne d'autre n'entende, je lui demande doucement si c'est vraiment ce que je pense, si des élèves s'en sont encore pris à elle, l'ont blessée par leurs mots. Elle hoche la tête. J'aimerais bien qu'elle m'explique exactement ce qu'ils lui ont dit, mais je sais que c'est trop dur pour elle d'en parler. Je voudrais aussi faire disparaître magiquement son désespoir, mais Hannah m'a demandé d'éviter de manipuler la même personne régulièrement, c'est trop dangereux.

A la place, je lui parle de ses livres. Je lui fait part de quelque chose que j'ai remarqué au fil de nos discussions : ses héros, qu'elle admire tant, ce sont tous ou presque les gens les plus malheureux du monde, au départ. Si elle pleure, si tout le monde se moque d'elle, cela veut peut-être dire qu'elle est aussi une héroïne. Qu'elle va devenir comme eux. Lucinda lève les yeux et me regarde, stupéfaite. Et puis elle rit. Ses yeux brillent, un peu à cause de ses larmes, et puis un peu aussi parce que j'ai réussi. Je l'ai fait rire. J'ai chassé la pluie de son cœur. Et le mien s'emplit de lumière.

Mercredi 20 mars

Je suis sur le parvis. Les bus sont en grève aujourd'hui, alors on doit rentrer à pied. On s'est attardées au CDI, alors il n'y a déjà plus personne. Je parle avec Lucinda. Je suis un peu énervée, en fait. Elle l'a fait, encore une fois. Elle a renoncé par timidité. Je ne peux plus le supporter. Personnellement, cela ne me porte pas atteinte, bien sûr. Mais elle se prive de trop de choses à cause de ce manque de volonté, et elle le sait. Je n'en peux plus.

Le ton monte entre nous. Je suis fatiguée. Je tente sans cesse de l'aider à vaincre sa timidité, mais ça ne sert à rien. Cela dure depuis longtemps, mais voilà, ma patience aujourd'hui est un peu plus limitée que les autres jours. J'ai eu des problèmes en classe, des problèmes à la maison, et Lucinda est arrivée au mauvais moment. Je sais que je m'emporte un peu plus que je ne l'avais prévu. J'ai toujours été impulsive. Je me laisse dominer par mon impuissance à la rendre heureuse. Je crie maintenant. Je crie tout ce que je pense sans la laisser m'interrompre, même si je vois qu'elle me trouve injuste. Et puis, quand mon souffle se tait, je me retourne et m'apprête à partir. Maintenant que j'ai ouvert mon cœur, j'ai trop de mal à la regarder. Je l'entends qui me rappelle, suppliante, larmoyante. Et puis ce cri ultime.

-Ciel... je t'aime !

Je me retourne, estomaquée. Soufflée par sa déclaration. Si courageuse. Lucinda est si courageuse. Quand je ne m'y attend pas. Je ne sais plus où j'en suis. Ma Lucinda est si courageuse. Je cours vers elle et la prend dans mes bras.

Les Âmes des Jours de PluieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant