J'ai grogné avant de laisser tomber mon crayon sur la page vierge.
- Page blanche?
- Hum.
- Ça sent le café. Va toquer chez Patti, je suis sûre que c'est elle qui vient d'en faire.Je me suis contenté de fixer le papier sans rien dire.
- Allen, le soleil vient de se lever. Prend un café ou endors-toi maintenant.
Louie s'est étirée nonchalamment avant de tirer les rideaux. J'ai plissé les yeux en grimaçant, contrarié. Elle a ri avant de se poster devant moi, s'emparant de mon visage.
- On dirait que tu t'apprêtes à rendre l'âme.
- Je dormirai quand j'aurais écrit.Elle a émit un bruit désapprobateur puis à refermé les rideaux. Je n'ai pas pu m'empêcher de pousser un soupir de soulagement.
- Vas te coucher.
- Je travaille cette après-midi, ai-je faiblement protesté.
- Justement. Je te réveillerai, aller !Je me suis levé avec difficulté. Maintenant que j'étais sorti de ma torpeur, de minuscules douleurs s'éveillaient un peu partout dans mon corps et mes yeux brûlaient. Je me suis effondré et j'ai senti Louie m'embrasser la main dans ma semi-torpeur. D'étranges cauchemars m'aspiraient déjà, prenant le visage réprobateur de mon frère, Louie se rangeant à ses côtés. "Ça aurait dû être moi, Allen."
☆☆☆
- On devrait le faire.
- De quoi ?J'ai frotté mon front migraineux du plat de la paume, réalisant trop tard que j'avais de l'encre plein les mains. Impossible d'écrire quoique ce soit depuis deux semaines. C'était le plus long syndrome de la page blanche que j'avais jamais rencontré. Moins j'écrivais, plus je perdais le sommeil. Et moins je dormais, moins je parvenais à écrire.
- Le truc dans le bouquin de Rob.
- Son truc de sorcière ?Des petites tâches commençaient a troubler ma vision.
- Oui.
Cette fois-ci j'ai relevé franchement la tête malgré mes vertiges. Louie, assise sur le rebord de la baignoire, m'a attrapé le visage, me contraignant à faire face au mur.
- Je vais te mettre du savon dans les yeux, a-t-elle protesté.
- Tu parles du pacte de sang ?Rob avait des espèces de délires chamaniques et ésotériques plastiques qui me dépassaient. Il n'était pas rare que quelque voisin toque à sa porte pour se faire lire les lignes de la main en échange d'un peu de hachich.
- Ce serait quel genre de promesse ?
Louie a pressé la bouteille de shampoing au-dessus de ma tête et le liquide froid m'a provoqué une grimace.
- Quoiqu'il arrive, on fait ce qu'il faut pour que tu réussisses.
Elle a commencé à me frictionner la tête, et mon sang a semblé quitter mon cerveau.
- Tu veux dire pour que je devienne écrivain ?
- Oui.Je ne sais pas si c'est ma vision trouble, mes insomnies, mon syndrome de la page blanche ou bien l'odeur chimique du savon, mais j'ai accepté. Ce soir-là, nous nous sommes jurés solennellement d'accomplir l'impossible et faire équipe pour qu'Allen le postier acquiert une renommée nationale. Après s'être entaillé le petit doigt, nous avons scellé la promesse comme des jumeaux étranges, teintant l'eau du bain en grimaçant. Peut-être que Rob avait raison, peut-être que c'est le fruit du hasard. En tout cas, notre pacte s'apprêtait à dépasser nos espérances.
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les enfants de minuit
Fiksi Umumc'était la décennie de la révolution sexuelle, des petites culottes et de bob dylan. 1968 semblait l'année propice aux fugues des adolescents vers la Grande Ville. le chelsea hotel était encore envahi de poètes et de stars du rock n'roll qui payaien...