Prologue

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Kira

Le son des vagues et des éclairs emplissait mes oreilles. Cette tempête était la plus virulente à laquelle j'assistais. J'observais le ciel à travers la fenêtre tandis que mon père me parlait du dernier traité commercial mis en place avec un de nos vassaux. Ne comprenant rien à son charabia, j'avais fini par me détourner de lui. Il me surestimait trop, comme à son habitude. Son amour à mon égard l'aveuglait sur la réalité de mes compétences. Néanmoins, je me refusais à le démentir de peur de le peiner.

Je fis volte-face pour observer son tendre visage. Sa longue chevelure aussi pâle et lumineuse que la Lune reposait en cascade sur ses larges épaules. Ses yeux d'or limpide fixaient un parchemin noirci de pattes de mouche incompréhensibles.

Parfois, je détaillais chacun de ses traits, si identiques aux miens, dans l'espoir de trouver des différences. Je me disais qu'ainsi, je trouverais des similitudes avec ceux de ma mère. Il s'agissait de mon seul moyen de deviner à quoi elle ressemblait.

Je n'ai jamais connu ma mère. Et mon père refusait de parler d'elle. Elle est morte en me mettant au monde, il y a plus de deux siècles.

Malheureusement chez les anges l'amour mène généralement à une seule issue. La mort. Mon père y a réchappé par miracle.

Ils s'étaient rencontrés peu après la création de notre île. Et ils étaient immédiatement tombés amoureux l'un de l'autre contre l'avis de tout leur clan. Il leur avait répété que la Grâce les rendrait assez heureux pour qu'ils puissent s'en passer. Cet état, n'existant que chez les anges, permettait de vivre dans une béatitude constante en supprimant toutes les autres émotions considérées comme trop violentes pour l'âme.

Mes parents ne les avaient pas écoutés. Par amour, ma mère avait perdu sa béatitude. Elle avait alors ressenti d'un seul coup tous les sentiments qu'elle avait bridés pendant des siècles.

Son corps et son esprit affaiblis, elle ne résista pas à l'accouchement et perdit la vie.

Les anges m'accusèrent de matricide et mon père de meurtre ainsi que d'impudeur. Nous fûmes chassés par notre clan dans les terres des ténèbres de l'île d'Hécate.

Aujourd'hui encore, je ne regrette pas qu'ils aient pris cette décision.

Contrairement à mon peuple, Dankara, le Royaume où règne la nuit, nous accueillit à bras ouverts.

A cette époque, le chaos régnait entre les seigneurs démoniaques qui y vivaient. Le trône du pays demeurait vacant depuis des décennies. Aucun démon sur place ne souhaitait prendre la régence. Après plusieurs mois chez eux, ils reconnurent la puissance et la sagesse de l'archange qui venait de s'installer dans ces lieux. Alors d'un commun accord, ils investirent mon père, lui donnant le titre de Grand-Roi. Il ramena la cohésion et l'ordre dans ce royaume féodal, comme chacun le souhaitait. Le souverain légitime n'apparut jamais.

Je me retrouvais donc princesse de circonstance. « Son altesse Kirazirielle », mais aucun ne m'appelait ainsi, pour tous j'étais Kira. Mon père et les serviteurs me gâtaient en conséquence. Ils ne se rendirent jamais compte de l'impact désastreux que cela provoquerait sur mon éducation.

Le grondement de tonnerre retentit non loin de nous. Je sursautai avant de me reprendre et de cacher ma stupeur derrière une nonchalance feinte. Je n'ai jamais aimé montrer mes faiblesses, que ce soit dans mon enfance ou maintenant. Mon père ne remarqua rien, trop pris dans son discours sur le développement des échanges commerciaux avec le Roi Zagan, un de ses vassaux les plus puissants dû à son affinité avec la terre. Je ne saisissais rien. J'étais trop jeune pour ce type d'enseignements. Je décidais donc de changer de sujet.

L'Île d'Hécate, Tome 1 : ProphétieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant