Chapitre 1

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Enodia

L'île d'Hécate, ... l'île d'Hécate. Pourquoi ne s'étaient-ils jamais interrogés sur le nom de cette terre ? Il n'est pourtant pas courant. Ne s'étaient-ils jamais demandé qui était Hécate ? Evidement que non. L'ignorance est une bénédiction. Pour moi, cela représentait une insulte. Une injure qui m'atteignait au plus profond de mon être.

Ils ne se doutaient pas du mépris avec lequel je les observais. Ils me dégoutaient.

A travers les flammes du foyer, des images de leur quotidien m'apparaissaient nettement. Le feu canalisait mon pourvoir. Je pouvais ainsi me concentrer sur une seule vision, au lieu de me perdre dans les méandres du temps.

Il y a bien des personnes qui se réclament médiums et disent pouvoir lire l'avenir. Presque tous des charlatans. Une honte pour les miens.

Seuls mes intermédiaires, les médiums, les prophètes, possédaient cette capacité, et je ne la cédais pas à n'importe qui. Cette nomade avait reçu une de mes offrandes, mais l'avaient-ils seulement écoutée ?

Je suis Enodia, la grande prêtresse de cette île. Je connais tout, le passé, comme le futur. J'entrevois les innombrables avenirs, tous ceux qui changent d'un simple battement d'ailes.

Des grandes matriarches, ils ne se souvenaient que d'une seule, Séléné la bienveillante, la mère de la seconde gardienne.

Ils avaient tout oublié de la mienne, Hécate la grande, celle qui avait donné son nom à cet endroit en se sacrifiant.

Hécate m'avait confié la dure tâche de veiller sur ce peuple qu'elle voulait tant protéger. Moi, ainsi que la dernière survivante de ma confrérie, sommes les gardiennes. Elle nous a choisies pour veiller sur leur vie sans intervenir. Mais peut-être avions nous seulement été sélectionnées parce que nous étions les filles des matriarches du coven.

Elles cachèrent notre existence en nous enfermant dans des temples inaccessibles. Nous devions surveiller sans intervenir, piégées dans des corps immortels. Voilà la mission qui nous incombait, et je la pris très au sérieux. Si bien que très vite je finis par les haïr.

En réalité qu'est-ce que je ne détestais pas dans mon existence ?

Hersée, la seconde gardienne, et moi nous souvenions de tout. C'est là notre pire malédiction.

L'Ancien Monde était vaste et pourtant nous coexistions sans mal. Que nous soyons humains ou créatures magiques, nous avions appris à vivre ensemble sans rejet. Après tout, les hommes étaient bien trop occupés avec leurs propres affaires. Nous les connaissions bien. Versatiles, jaloux et méfiants, la peur les gagnait très vite. Et lorsqu'elle le faisait, ils devenaient capables de tout, même des pires atrocités.

Un jour, à la suite d'un incident, les humains avaient irrémédiablement changé. A cette époque je n'étais encore qu'une enfant en bas-âge qui vivait paisiblement dans la forêt avec ses parents. Le bambin que j'étais ne se doutait pas des atrocités auxquelles il allait assister les années suivantes. Et nous en serions tous à jamais marqués.

Mon père vit avant tous les autres les changements qui allaient se produire. Et lorsqu'il raconta l'incident à ma mère, je ne pus m'empêcher de tout écouter à travers la porte de ma chambre.

Un vampire avait voulu rejoindre son amante humaine, il l'avait alors trouvée aux mains d'un bataillon de soldats humains revenant du front. La pauvre jeune fille avait eu beau hurler à pleins poumons, personne dans le village n'était intervenu, préférant détourner le regard de cette abominable scène.

Le vampire, fou de rage, avait complètement perdu la raison, et il ne laissa derrière lui qu'un champ de cadavres exsangues. Se léchant les lèvres, il avait découvert sa bien-aimée mortifiée par ce qu'elle venait de vivre. Elle ne s'en remit jamais.

L'Île d'Hécate, Tome 1 : ProphétieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant