II.

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Le travail d'Harry est une révélation pour nous. Les mois passent et nous sommes comblés dans tous les domaines de notre vie de couple. Je suis une jeune femme épanouie dans son foyer malgré le fait que je ne travaille pas et Harry est un nouveau cadre qui ne cesse de s'imposer dans le monde des affaires.

Le succès lui colle à la peau. Il travaille tard pour être en avance sur les comptes de lentreprise mais ça ne me dérange pas. Le succès lui monte à la tête ? Cest possible. Cest totalement dans la nature de lhomme de senorgueillir lorsque des louanges lui sont adressées pour féliciter ses compétences. Savoir que son travail est apprécié à sa juste valeur, chasse lhumilité humaine. Et lorsquon goûte à la gloire, on y devient accro. A chaque victoire on veut être admiré, élevé, célébré. Infime est la partie des personnes qui conservent leur humilité, qui se fondent dans la masse et qui ne clament pas leurs exploits. Après tout, chacun se réjouit à sa façon. Certains sexclament et dautres sont calmes. Moi, je suis de celles qui attendent patiemment le retour de leurs conjoints, qui, lorsquils sont de retour à la maison, content les péripéties de leur journée de travail tout en se ventant de sen être brillamment sortis. Nous, les épouses, restons là, à les écouter se vanter de leurs prouesses et de lépuisant quotidien de la gent masculine mais quen est-il du nôtre ? Si certaines unions nétaient pas régies par lamour, personnes ne serait engagée envers quelquun dautre. Sinon quest-ce qui expliquerait quune personne ayant toutes ses facultés mentales, privilégie votre bien au-delà du sien ? Comment expliquer quune personne se voue totalement à vous, en dépit de tout ce quelle a à perdre et des risques que votre union représente ? Comment expliquer que vous vous rabaisser pour élever lautre et que son bonheur fait le vôtre, sachant bien que vos goûts divergent en tous points ? Si ce nest lamour, quest-ce ? De la dévotion assurément.

Lorsquil sabsente, je moccupe du mieux quil mest possible de le faire. Parfois je sors faire une promenade dans le quartier. A Boulogne-Billancourt, les habitants du quartier ne jurent que par leur aisance. La concurrence est présente à chaque coin de rue. Mes voisines sont pour la plupart des femmes actives qui travaillent au même titre que leurs époux et qui ont cette fâcheuse habitude de me regarder de haut. Elles me voient comme une moins que rien, une femme stupide qui ne fait rien de ses mains. Elles ne me le jettent pas en pleine face mais le regard quelles posent sur moi en dit bien long sur lopinion quelles ont de moi. Cest à ça que je suis réduite. Jugée et méprisée par des personnes qui ne connaissent rien de mon vécu et qui se croient tout permis. Au fond, je leur ris au nez parce que en étant cloîtrée dans ma maison pendant quelles saffairent et se précipite à aller au travail, japprends bien de choses sur leurs ménages. Si seulement elles avaient ouïe des mésaventures de leurs époux, de leur tonne de paris perdus sans oublier leurs rendez-vous fréquents dans un bordel au bout de la ville, elles feraient moins mine dêtre parfaites. Lhomme à la langue pendue mais la mémoire courte. Ce quartier est plus petit quun trou daiguille. Tout se sait même si tous se taisent. Je nai jamais aimé les querelles, bien au contraire je les ai en horreur mais cela ne mempêche pas dêtre autant désagréable quune personne qui mattaquerait sans motif justifié. Déplorable de voir quau 21e siècle, alors que nous sommes censés nous soutenir, des femmes se liguent contre moi et médisent sur ma modeste vie. Comme quoi, leurs poches sont bien pleines mais leurs cerveaux arides.

Harry et moi avons tout juste vingt-trois ans. Nous avons si peu vécu et tellement à vivre. Je ne laisserai pas de vieilles aigries qui regrettent leur jeunesse me pointer du doigt et me rire au nez. Avant, je marchais en promenant des regards inquiets par crainte de les croiser lors de mes déplacements. Aujourdhui, jaccorde peu dimportance aux jugements quelles me portent, je les ignore et profite pleinement de ma vie.

Cet après-midi je sors faire des courses. Je me rends à lépicerie de Jeannette, une dame âgée dune douceur et dune gentillesse admirable. Cest la seule femme avec qui jéchange dans le coin. Je vois en elle une figure maternelle, elle me rappelle ma mère. Je ne sais ce quelle devient mais je tente en vain de le convaincre quelle va bien. Jeannette est souriante et un peu bavarde mais cela ne me dérange pas. Je préfère mieux écouter ses milles et unes histoires de jeunesse que de maffaler sur le divan de la maison. Cest une solitaire, un peu comme moi. Elle vit avec son fils qui connaît très bien Harry dailleurs. Elle nous affectionne particulièrement et cest un sentiment plus que partagé. Parfois la mélancolie la submerge et elle tient des discours sur la mort et le regret de ne pas avoir vécu comme il le fallait. Jeannette est une fervente croyante et croit fortement en le haut delà. Elle nous répète souvent quelle craint daller en enfer car elle na pas toujours fait de bons choix. Aussi douce quelle soit je ne pense pas que la damnation soit son terminus. Je suis moi-même croyante mais peu pratiquante je lavoue. Je ne participe plus au culte dominical depuis des années. Les églises dans lesquelles je me rendais avec mes parents lorsque nous vivions à Haverstraw sont bien différentes de celles quon retrouve en France. Jai en quelque sortes perdu mes marques pourtant dit-on, Dieu est omniprésent. Avec jeannette, on se perd à discuter. Cela nous distrait et nous permet de créer de beaux petits souvenirs avec cette agréable dame. Plusieurs heures et conversations interminables plus tard, je rentre à mon domicile, espérant trouver Harry.

Tendre déveine.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant