12. Still with you

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« À propos de notre tactique, je me disais qu'on pourrait...improviser. Ça créera un effet de surprise et ça jouera en notre faveur. Cependant, il faut souligner le fait que c'est une technique très hasardeuse, et que par conséquent, nos chances de réussite sont divisées par deux.
-Quel intérêt, dans ce cas, de troquer un plan travaillé pour une simple improvisation ?
-Parce qu'ils ne sauront rien de notre mouvement suivant, et qu'ils ne pourront pas l'anticiper totalement. Et nous n'avons pas le temps de mémoriser l'intégralité des contres et attaques des échecs, si on se bat dans une semaine. Bien sûr, je serai une case à côté de toi, Yoongi, donc tant que je serai en vie et proche de la tienne, je t'aiderai. En revanche, si tu te retrouves seul à un moment donné...je compte sur ton inventivité. »

Namjoon était venu discuter l'idée d'éventuellement reconduire la date de la partie à mars. Personne n'avait tellement le courage d'attendre et de supporter l'amitié naissante entre les deux camps, qu'ils allaient littéralement réduire en poussière, et les Blancs commençaient définitivement à déprimer. Avec le temps, ils avaient tous remarqué le professionnalisme des Noirs, leurs mouvements méticuleux et leurs nombreuses simulations sur l'échiquier visible depuis les fenêtres.

Ils se savaient déjà morts.

Mais il en était de même chez leurs adversaires : Taehyung n'avait pas le courage de se lever pour mettre en œuvre l'opération qui assombrirait ce visage parfait, délicat, magique, qu'étaient les yeux, les lèvres, les joues roses de Yoongi.
Et puis, il en avait assez aussi.
Il avait assez vécu, et ses pions en avaient suffisamment bavé et souffert.
Lui avec sa Reine, Jungkook et Jimin, Yeontan...tous morts pour lui, pour sa vie jugée désormais inutile.

Peut-être était-il temps de laisser tomber sa couronne et de devenir une partie de ce plateau sinistrement bicolore, comme tant d'autres avant lui.

En somme, les deux côtés se croyaient déjà vaincus, et ainsi mettait en place une égalité parfaite.

★彡

— 14 mars —

« Dans trois jours, je vais peut-être mourir. » Jimin murmura, raffermissant sa poigne sur sa manche trempée de sueur. Il était assis sur son lit, son oreiller coincé sous son menton, incapable de penser à autre chose.
Il allait replonger dans ses pensées lorsque la porte s'ouvrit sur le Fou, tenant deux tasses remplies à ras-bord de chocolat chaud.
Il resta silencieux un instant avant de tendre le mug à son camarade, s'appuyant contre le mur en se laissant lentement glisser contre pour s'asseoir sur le tapis mauve, décoré d'une couronne noire.

« J'ai du mal à digérer aussi. » Jungkook finit par prononcer, prenant une gorgée du liquide visiblement brûlant, ses yeux observant avec attention les coutures du matelas, semblant chercher quelque chose pour se détourner de ses propres préoccupations.

« On n'a pas de stratégie, pas de plan d'échappatoire...on est fichus, hein ? »

La Tour ne répondit pas, se répétant les paroles de son collègue comme s'il s'agissait d'une formule.
Oui, ils étaient fichus.

« Avant qu'on ne soit...plus de ce monde, tu sais, on pourrait...discuter. » il reprit. « Je pense que je me sentirais mal de mourir comme ça. »

Son aîné prit une longue inspiration, posant sa tasse sur sa table de chevet, défaisant la lavallière entourant son col pour mieux respirer, ne voyant de toute façon plus l'intérêt d'un quelconque professionnalisme face à la situation actuelle. À quoi bon les uniformes et les nœuds papillons, maintenant ? Donner une impression de supériorité ? Prouver leur puissance ?
Cela n'avait pas de sens, pas même pour Jimin qui trouvait toujours une raison pour tout.

« Taehyung, tu l'as vu ? Je m'inquiète un peu pour lui.
-Je l'ai croisé, hier. » répondit Jungkook, hochant la tête. « Il n'avait pas l'air dans son assiette.
-Tu m'étonnes. »

Il marqua un silence.

« Et toi, ça va ?
-Je suis dans une sorte d'entre-deux... un peu de mal à réaliser, je crois. Ça ne me fait pas grand-chose, je n'avais jamais vraiment pensé à comment je me sentirais si...je...
-Si tu savais que tu allais mourir dans les prochains jours ?
-Hm-hm. Et puis, je suis un Fou, et ce sont des pièces qui ne durent pas très longtemps. Taehyung fait son possible pour ne pas me sortir trop des rangs et m'envoyer en plein terrain ennemi, mais évidemment, je suis très exposé. Alors que toi, une Tour...
-Tu dis n'importe quoi ! » s'emporta le pion, se redressant soudainement. « Ne dis pas des idioties pareilles ! Tu ne te rappelles pas ? Tu m'avais dit que tu me protègerais, quand mon cavalier est mort, et qu'on serait à côté jusqu'au bout. Alors ne divague pas de cette manière et remplis ta promesse ! »

Son cadet se releva à son tour, faisant désormais face à Jimin, qui ne pouvait pas contenir les tremblements de colère de sa lèvre inférieure.

« Justement, ce n'est pas la fin, là ? »

Un instant, les yeux du plus âgé perdirent leur rancoeur et prirent l'air le plus triste qu'il n'ait jamais été permis à Jungkook de voir, comme s'il prenait finalement conscience de son futur, obscurci et obstrué par une montagne sablonneuse opaque, dans laquelle ses jambes remuaient bêtement pour se dégager.

Des larmes embuèrent sa vue, et ses mains attrapèrent quelques mèches de ses cheveux dans un geste paniqué, incapable de se défaire des mots qu'il venait d'entendre.

La fin ?
Pourquoi la fin ?
Maintenant ?

En désespoir de cause, ils avaient accepté de décaler la date au plus tôt, ne trouvant pas de raison à faire durer plus longtemps leur douleur, leur Roi restant cloîtré dans sa bibliothèque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ne donnant ni ordres ni nouvelles, les pions alors laissés à l'abandon et inaptes à faire preuve d'autonomie, mais Jimin ne voulait plus ; il ne voulait plus mourir, du tout.

« J-Je... »

Il aurait pu continuer ses élucubrations pendant longtemps, mais des bras chaleureux l'en empêchèrent, serrant fort ses omoplates et son bassin.
Et puis, il sentit quelque chose de mouillé au creux de ses clavicules, et des cheveux soyeux contre son cou.

Il en avait presque oublié Jungkook.

« Ça va. Je comprends. »

L'étreinte du plus jeune se resserra à nouveau, et des sanglots firent trembler son dos, sa respiration accélérant pour ne pas laisser un son sortir de sa bouche.

Après un certain temps au cours du quel la Tour pesa le pour et le contre, elle lui rendit son geste, et laissa à son tour aller ses pleurs contre la soie douce du chemisier du Fou.

Il avait raison, c'était la fin.

 É𝔠𝔥𝔢𝔠 𝔢𝔱 𝔪𝔞𝔱 - TαҽɠιOù les histoires vivent. Découvrez maintenant