Jared était effectivement, un homme marié. J'ai appris au cours du repas du soir qu'il avait vingt-six ans, soit plus de huit ans que moi. Sa femme n'a pas dîné avec nous, elle devait rejoindre des amies et Jared s'en est plaint à de nombreuses reprises en riant.
Je n'ai cessé de décortiquer le moindre de ses mouvements toute la soirée. Il avait quelque chose d'intrigant. Ses cheveux étaient bruns, mais d'un brun clair, presque châtain. Sa peau halé semblait douce, et ses mains caleuses. Il n'avait pas les mains d'un noble, il avait celles d'un paysan.
Et pourtant, il parlait affaires avec mon père comme s'il avait fait ça toute sa vie.
Sa tunique blanche mettait en valeur ses muscles, et ses yeux... Ses yeux étaient de la couleur la plus belle que j'ai vue sur terre. D'un bleu clair, presque turquoise, ils auraient pu me foudroyer sur place.
Cet homme était le charisme à lui-même. Et je n'ai pas touché mon assiette, bien trop absorbée par ses faits et gestes.
Je faisais mine de triturer mes pommes de terre pour que ma mère me lâche les basques, mais à un moment donné, elle s'est tournée vers moi et s'est exclamée bien trop fort :
— Alors, Danïa ? Tu ne touches pas à ton assiette ? Fais un effort, ma chérie !
Toujours avec ce sourire hypocrite aux lèvres, je l'ai détestée à ce moment-là. Je ne demandais qu'à me faire discrète pour pouvoir observer Jared en secret.
Mais il aura fallu qu'elle s'écrie. Alors je me suis tournée vers elle, et je n'ai malheureusement pas tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de parler.
— Il faudrait savoir, je suis trop grosse ou trop mince ?
Son sourire s'est figé. Elle a voulu répliquer mais aucun son n'est sorti. J'ai baissé les yeux vers mon assiette mais j'ai senti le regard de Jared posé sur moi. Alors j'ai relevé la tête.
Et nos yeux se sont accrochés. Ils se sont emmêlés comme si nos regards ne pouvaient se détourner l'un de l'autre. Un sourire, discret mais bien réel, a étiré ses lèvres.
Ses si jolies lèvres qui ne...
Il s'est détourné pour parler à mon père business une nouvelle fois. De ce que j'ai compris, il avait des terres que mon père faisait louer. Étant roi, je me demandais bien ce qu'il pouvait faire de ses terres.
J'ai jeté un coup d'œil à ma mère, et en voyant sa couronne posée sur sa tête, je me suis mise à penser que ce rôle ne serait jamais pour moi. Il le serait pour mon frère, Olayron, qui deviendrait à son tour roi d'Imir.
Olay n'a pas assisté au dîner. Il était un homme occupé par les affaires lui aussi, mais ce qui le retenait le plus en ce moment, c'était la guerre. Imir était en froid avec Socrenia à l'époque et la paix était encore un équilibre fragile. Ma mère a tenté à de maintes reprises de l'empêcher d'aller se battre mais Olay est un homme d'honneur et de courage.
Il aurait suivi son escadron jusqu'aux portes de la mort.
Il avait aussi beaucoup à gérer avec sa femme et sa fille. Toutes deux étaient adorables, bien trop adorables pour ce monde. Ma mère adorait tirer les joues de la petite pour jouer avec elle, ce que je trouvais... inutile. Et hypocrite, encore une fois.
Mon frère me manquait terriblement. À ce moment-là, je n'avais aucune idée du jour de son retour.
Alors quand la porte s'est ouverte, et qu'il est apparu dans son uniforme royal, je me suis levée d'un coup. Ma mère a essayé d'agripper ses vieux ongles à ma peau mais je l'ai esquivée et j'ai couru jusqu'à la porte.
Olay m'a serrée si fort dans ses bras que j'ai cru un instant rêvé. Après plus de trois mois de mission, il était enfin de retour au palais. Et il n'avait jamais eu l'air aussi fatigué qu'en ce jour.
— Tu m'as manqué, p'tite tête.
J'ai reculé et ma mère, toute en retenue, s'est levée de table, a épousseté sa robe avant de le rejoindre d'un pas lent et maîtrisé.
C'est bien ce que je détestais avec elle. Tout n'était question que d'apparences, et de faux-semblants. Les pensées des autres, les remarques qu'ils pouvaient faire la gardaient maintenue dans une prison de superficialité.
Son fils revenait de guerre, et elle avançait vers lui comme s'il était parti depuis un jour. Mon père, s'est levé mais ne l'a pas rejoint. Il a continué sa discussion avec Jared qui avait alors les yeux posés sur moi.
D'un air de défi, je lui ai renvoyé son regard. Il voulait la guerre ? Il allait l'avoir. Je ne détournerais pas une seule fois des yeux. Notre petit jeu a continué une dizaine de secondes.
Il y avait un éclat rieur dans ses pupilles, comme s'il voyait quelque chose d'inattendu chez moi.
Avec Jared, tout n'était question que de regards échangés en silence le premier jour.
Sauf le soir, quand j'ai rejoint ma chambre peu après vingt-trois heures. Je marchais d'un pas lent, bien qu'hâtif de pouvoir enfin m'allonger dans mon lit. Mes bracelets tintaient à mes poignets, et ma robe se soulevait sous la petite brise émanant des couloirs. Les fenêtres étaient ouvertes, comme d'habitude.
Ma main s'est posée sur la poignée de ma porte, quand une voix masculine a retenti dans l'obscurité du palais :
— Nous n'avons pas été présentés comme il se doit.
Je me suis retournée et je l'ai vu. Jared était là, un air sérieux au visage. Le petit sourire qui ornait ses lèvres avait disparu.
— Ma mère nous a présenté, ai-je rétorqué. Je suis Danïa et vous êtes Jared. Vous devriez déjà être dans votre suite à cette heure aussi tardive.
— Je le sais bien, mademoiselle. Je souhaitais seulement m'excuser.
Je l'ai dévisagé. Mon cœur battait follement dans ma poitrine. Cela ne m'était pas arrivé depuis longtemps.
— Vous excuser ? Pour quoi ?
— Vous n'avez pas touché à votre assiette, et je porte à croire que ma présence en était la raison la plus évidente.
Mes joues sont devenues rouge pivoine et heureusement qu'il faisait sombre. Il osait me dire cela !
— Vous croyez mal. Je n'avais simplement pas faim.
— Soit. Dans ce cas... Passez une agréable nuit.
Son sourire est réapparu sur ses lèvres et j'ai plissé les yeux.
Ce n'est que quand j'ai refermé la porte derrière moi que j'ai réalisé.
J'avais retenu mon souffle tout le long.
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𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | BONUS
Romantik« Il est trop tard. Il est parti. Il m'a quittée. » Mamie Danïa n'a pas toujours été la vieille grand-mère ridée et sans pitié envers ses ennemis. Avant de pourchasser les gens avec des chalumeaux, ou de frapper son petit-fils avec sa canne, Danïa...