Chapitre 7

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Mon histoire avec Jared était aussi intense que furtive. Le soir même, nous devions nous retrouver. Il m'avait invité à le rejoindre dans les jardins, en face de la fontaine à l'effigie de mon père. Olay aurait qualifié mon escapade de stupide, étant donné que les gardes royaux étaient postés au portail, et non le long du palais. Jared aurait pu être un mercenaire envoyé pour me tuer, ou bien un bandit venu me kidnapper.

Je pensais à croire que je saurais me débrouiller seule. Olay m'avait appris quelques enchaînements de combat. Je n'étais pas une grande guerrière, aujourd'hui encore je ne le suis pas. Mais j'aime penser que je n'ai pas besoin d'autre chose que de mes mains pour me défendre. Mes mots aussi savent négocier avec ferveur.

À minuit tapantes, je suis sortie de ma chambre. Ma robe blanche en voiles voletait dans mon dos et j'avais attaché mes cheveux crépus en queue de cheval. Ainsi, mon visage était dégagé. Les gardes ne m'arrêtèrent pas pour me questionner.

J'étais la princesse d'Imir. Qui allait m'arrêter ?

J'ai descendu les escaliers d'un pas rapide, puis je suis arrivée dehors. Il faisait toujours aussi chaud, et je n'ai pas regretté ma tenue.

À l'époque, mon accoutrement aurait offusqué la plupart des nobles. Voir les jambes de la princesse ? Inacceptable. Les bras nus ? Encore pire.

Mais c'était Jared que je m'en allais rejoindre. Pas les nobles de pacotille qui tentaient d'attirer les faveurs du roi.

Mon cœur battait de plus en plus fort et quand j'ai vu sa silhouette, assise au bord de la fontaine, quelque chose en moi s'est réveillé.

Il faisait nuit et trop sombre pour que je puisse distinguer ses traits. Je n'avais pas besoin de lumière pour voir qu'il s'agissait bien de lui. Je le connaissais depuis à peine un jour, et j'avais déjà l'impression de le connaître par cœur.

Sans un mot, je me suis avancée. Sous le clair de lune, il paraissait encore plus séduisant.

— Danïa, a-t-il murmuré.

Il s'est levé, et a saisi délicatement ma main pour l'embrasser. Comme dans la règle, sa bouche a seulement effleuré le dos de ma main.

— Jared.

— D'ordinaire, je n'aime pas les mots niais, mais ce soir, j'en ai un tas qui me viennent en tête.

Il n'a pas relâché ma main. Au contraire, il m'a invitée à m'assoir au bord de la fontaine avec lui.

— Dis-les-moi donc, ai-je insisté en souriant.

Il a fait mine de réfléchir, puis il a fini par répondre :

— Tu es encore plus belle que tout à l'heure. J'ignore si ce sont les étoiles qui te font briller davantage, ou bien seulement moi qui suis en train de tomber sous ton charme.

J'ai ri. Je me souviens qu'à ce moment, mon rire ne m'avait jamais paru aussi affirmé. Voilà bien longtemps que je ne riais plus. Être une princesse empêchait ce genre... d'amusement.

— En effet, tu aurais dû t'abstenir.

Il m'a longuement regardée, et j'ai ajouté au bout de quelques secondes :

— Tu me contemples encore ?

Le tutoiement me paraissait si naturel en sa présence. Je ne m'étais même pas rendue compte que nous avions franchi cette barrière !

— Je dirais plutôt que je suis en train de lutter.

J'ai froncé les sourcils. Ses yeux brillaient si fort que j'ai cru qu'il allait pleurer.

— Que veux-tu dire ?

— Je lutte pour ne pas tomber. Je l'imagine comme un précipice, et tu me pousses, tu me pousses... Mais je suis terrifié de la chute. Qui me dit que je ne vais pas m'écraser contre le bitume ?

Mon cœur s'est réchauffé. Je me suis mise à penser, à réfléchir si longtemps que j'ai cru que mon cerveau allait exploser.

Je ne m'étais jamais attardée sur mes sentiments, sur les choses que je pouvais ressentir.

À l'époque, l'amour n'était encore qu'une vaste idée à mes yeux, un concept que je ne comprenais pas tout à fait, une variable qui méritait sûrement d'être goûtée.

Quand j'ai regardé Jared, je me suis demandée s'il était possible de nourrir un attachement de la sorte à une personne que je connaissais à peine.

Et puis, j'ai arrêté de réfléchir et j'ai répondu :

— Qui te dit que je n'ai pas saisi ta main avant de te pousser ?

Son sourire s'est étiré, et j'ai ajouté d'un ton léger :

— Moi, je le vois plutôt comme un voyage. Je suis sur mon navire, telle la grande capitaine que je suis. Au loin, je t'aperçois sur ton propre navire. Quand tu me vois, tu te jettes volontairement à l'eau. Je pourrais te laisser te noyer, mais je ne le fais pas. Telle l'âme charitable que je suis, je t'envoie une bouée de sauvetage, et ensemble, nous parcourons un petit bout de chemin.

— C'est poétique. J'apprécie ta manière de voir les choses.

— Ne sois pas terrifié dans ce cas.

Son visage s'est terni. Son expression s'est rembruni et il a fini par avouer :

— Je ne suis pas celui que tu penses, mais tu le sais déjà.

— Alors explique-moi, Jared. Avant que je ne saisisse ta main.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | BONUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant