Chapitre 12

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La nuit ne m'avait jamais paru aussi courte de toute ma vie. Je l'avais passé avec Jared, des barreaux nous séparaient mais aucun obstacle n'aurait pu contrer ce que nous avions partagé.

— Prends ma main.

Il me la tendait. Je n'ai pas hésité. Je l'ai saisie. La chaleur de sa paume m'a fait me sentir bien.

— On agit comme si tu n'allais pas mourir d'ici quelques heures.

— Quelques dizaines de minutes, tu veux dire. Le soleil commence à se lever.

— Je ne veux pas que tu t'en ailles, ai-je murmuré.

Je l'ai fixé. Je savais que bientôt, je n'aurais plus jamais l'occasion de le regarder, de discuter avec lui.

— Personne ne veut mourir, a-t-il rétorqué. Demande à ton peuple, fais un sondage, et tu verras que personne n'a envie de rejoindre l'autre côté.

— Pourquoi n'as-tu pas peur dans ce cas ? Pourquoi me parles-tu comme si nous avions trois vies à vivre devant nous ?

— Eh bien, parce que nous aurons trois vies. Et même plus ! Après celle-ci. Bien après celle-ci, nous nous retrouverons. Mais tu te dois de vivre une vie fabuleuse. Une vie que tu mérites. Aime, chéris, profite de l'instant présent. Un jour viendra le moment où nous nous retrouverons. Quand tu seras toute vieille et fripée.

Il me sourit d'un air malicieux. C'était ça la particularité de Jared. Il souriait dans les pires moments. Il ne voyait pas le négatif. Il voyait seulement le positif. Il ne voyait pas la mort devant lui, il voyait la perspective d'une nouvelle vie avec moi.

— Tu n'as pas l'air convaincue, a-t-il ajouté.

— Je ne crois pas en l'existence de plusieurs vies.

— Moi j'y crois. Et tu devrais faire de même, puisque si tu n'y crois pas, nous ne serons pas capables de nous rejoindre dans la prochaine vie.

Il me taquinait. Je n'étais pas d'humeur. Je voulais seulement pleurer sans m'arrêter. Jared a perçu ma détresse. Il a serré ma main plus fort.

— Ne sois pas triste, Danïa. Je vois une grande vie pour toi. Tu vieilliras et tu resteras toujours aussi belle. Tu seras même arrière grand-mère !

Il me fit un clin d'œil. Moi, je ne voyais que le soleil se montrer dans la fenêtre de la cellule. Il suivit mon regard et sourit. D'un sourire franc.

Au loin, la porte de la prison s'ouvrit. Les battements de mon cœur s'étaient accélérés. Non, pas maintenant... Pas comme ça. Nous avions à peine eu le temps de... Nous avions à peine eu le temps.

Je me suis levée. Ou bien on m'a tirée, je ne sais plus. Tout ce que je sais, c'est qu'ils ont ouvert la porte de sa cellule. Qu'il s'est avancé, saisi par un garde, et que ses mots m'ont broyé le cœur en deux.

— Ne m'oublie pas.

Puis il a disparu. Je l'ai suivi, je l'ai suivi jusqu'à la potence, je l'ai suivi jusqu'à la mort, jusqu'à ce que l'on vienne nous arracher notre bonheur.

Il faisait beau dehors. Quelle ironie du sort. Les larmes coulaient sur ma joue. Au loin, mon frère me regardait avec un excès de pitié dans les yeux. Ma mère demeurait indifférente. Mon père, lui, jouissait du pouvoir qu'il avait sur mes sentiments. Il allait les piétiner d'une minute à l'autre.

Jared allait être pendu. Il n'était pas le seul exécuté, ses acolytes passaient avant lui. Je connaissais les manœuvres de mon père. Il voulait terrifier Jared. Lui faire se rendre compte de ce qui l'attendait.

Mais Jared n'eut pas peur. Il était fort. Il gardait la tête sur les épaules quand son ami se fit exécuté sous ses yeux. Il ne cilla pas.

Et moi, à l'autre bout de la place, je ne le quittais pas du regard. J'en avais vu des hommes se faire tuer. Mais Jared...

Les bruits émis par son ami me crevèrent les tympans. Je ne voulais pas entendre ceux de Jared. Je ne voulais pas le voir mourir. Pas maintenant...

Mais c'était bientôt son tour. Les larmes me montèrent aux yeux. Le temps sembla se figer autour de moi. On l'amena jusqu'à la potence.

Mon père était furieux. Furieux de n'avoir rien pu tirer de Jared. Pas même une larme, pas même un genou à terre.

Jared ne se débattit pas. Il avait accepté la sentence. On lui fit passer la corde autour du cou, et moi, je me mis à courir. À courir jusqu'à lui. Je voulais le toucher une dernière fois.

Un garde me retint et je me mis à hurler. C'est curieux de voir comment le corps humain est capable de se défendre en situation de détresse. Je l'ai repoussé de toutes mes forces et j'ai rejoint Jared.

J'ai attrapé la main qu'il me tendait. Nous n'avions que quelques secondes. Il a déposé sur mes lèvres un frêle baiser. Ses mains étaient froides. Son corps était glacé. Il n'était pas encore mort qu'il n'était déjà plus là.

— Je n'aurais jamais cessé de t'admirer, ma Danïa.

Les larmes roulaient sur mes joues en cascade. Je n'aurais plus jamais l'occasion de revoir le bleu de ses yeux. Je n'aurais plus jamais l'occasion de le serrer dans mes bras.

Un garde m'attrapa et me fit descendre de la potence. Je criai, je hurlai à en pleurer, je voulais Jared, je voulais l'infinité du temps que nous avions eu.

La bouche de Jared s'ouvrit, une dernière fois. Une dernière fois avant que son corps ne tombe dans les abysses de la mort.

— Offre-toi le champ de coquelicots que je n'aurais jamais pu te donner, Danïa. Pour nous.

Je crois bien que mon cœur s'est fissuré à ce moment. Quand je l'ai vu tomber, que j'ai vu la corde le serrer à en mourir, que je l'ai vu immobile, sans même se débattre, j'ai éclaté en sanglots.

La Mort avait frappé.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | BONUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant