Chapitre 8

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— Je suis venu récupérer quelque chose qui est à moi.

Jusque-là, je n'y voyais aucun problème. Il continuait de tenir mes mains dans les siennes et je l'ai seulement regardé pour l'encourager.

— Une épée, qui plus est. Elle appartenait à mon grand-père. Quand j'étais plus jeune, des gardes ont fait irruption chez moi, dans ma maison de campagne. Mes parents étaient absents à l'époque, et j'étais resté seul avec mon grand-père. Les soldats sont venus réclamer un bien de valeur en compensation du retard de paiement du loyer. À l'époque, les temps étaient encore plus durs qu'aujourd'hui.

Il fait une pause puis reprends d'une voix rauque :

— Mon grand-père gardait son épée en vitrine. Ce n'est pas une simple épée, c'est... Il a fait la guerre avec. Il en était très fier et il y avait des ornements sur la lame. Il avait promis de la donner à mon père qui me la donnerait par la suite.

— Alors tu es venu ici dans le but de récupérer une lame ?

— Pas seulement. Je suis venu faire un coup d'état.

Je me fige. Je crois que j'ai cessé de cligner des yeux. Puis j'ai éclaté de rire, mais d'un rire profond, empli de joie. J'ai fini par lui donner une tape sur l'épaule.

— Pourquoi me le dis-tu dans ce cas ? Idiot !

— Je sais que tu ne diras rien. Et puis, tu m'as posé une question, je te réponds avec honnêteté.

— Tu es un peu trop honnête à mon goût. À ta place, je t'aurais utilisé pour parvenir à mes fins. Imagine un seul instant si les rôles étaient inversés. Kidnapper le prince du royaume ! Pour faire un coup d'état ? Encore plus grandiose.

Il a souri et a répliqué :

— Je ne compte pas t'utiliser pour ce coup d'état.

— Quel coup d'état, d'ailleurs ? Explique-moi ! Je veux y participer aussi.

Il a ri et son rire est parvenu jusqu'à mes oreilles. Une ode à la joie. Cet homme était le diable en personne qui tentait de m'amener dans ses filets.

— Revenons d'abord à l'épée. J'accorde à cette lame une réelle importance, ce n'est pas une simple arme. C'est un trésor de famille et... Je sais que mon grand-père serait heureux de la revoir. D'où ma présence ici. Je me suis glissé dans quelques soirées bourgeoises, j'ai fait connaître un nom qui n'existait pas, et j'ai prétendu avoir des terres qui intéresseraient ton père.

Je ne comprends même pas pourquoi mon père aurait besoin des terres.

— Il a mordu à l'hameçon et me les a achetées. En réalité, il n'y a aucune terre. Je connais des gens qui sont de mèches avec notre cause.

— Quelle cause ?

— Nous voulons renverser cette monarchie. Le peuple veut plus de droits, Danïa. Et ton père fait tout pour nous en priver.

— D'accord. Je veux vous rejoindre mais je préviens, pas de meurtre !

Il m'a fixé, éberlué. Comme si j'étais folle.

— Pourquoi voudrais-tu nous rejoindre ?

— Je suis du côté du peuple. Ma mère me traite de grosse à longueur de journée et s'occupe plus de sa manucure que des pauvres gens qui meurent de faim. Mon père est un général. Il est prêt à faire la guerre avec Socrenia. S'il n'est pas déjà en train de mobiliser les jeunes du pays ! Le sang coule sur ses mains depuis des années et il n'a jamais rien fait pour honorer ce pays. Combien de fois ai-je eu ce genre de discussion avec lui ? Tu sais ce qu'il m'a répondu? Il m'a dit que j'étais trop humaine pour ce monde et qu'Olay aurait la tête sur les épaules pour diriger, mieux que moi. Mais n'est-ce pas là ce qui manque au monde ? Un peu d'humanité ? Je ne veux pas d'une vie de tristesse pour ma patrie, Jared. Alors j'espère de tout cœur que ton plan est solide.

Ses yeux ont brillé et il ne m'a pas lâché du regard. Je lui ai lancé le même regard et j'ai répliqué très sérieusement :

— Tu me contemples une nouvelle fois ?

— Non. J'essaie de ne pas tomber amoureux de toi, et c'est compliqué.

— Ne sois pas idiot, nous nous connaissons depuis un jour.

— Et j'ai l'impression de te connaître depuis des décennies. Cette sensation est assez étrange.

— C'est mon charme inconditionnel qui te fait penser cela ! ai-je ri.

Il a serré mes mains plus fort, puis il a ajouté :

— Je n'en doute pas une seule seconde. Pour en revenir au plan, je préfère ne pas t'immiscer là-dedans. La bande risque de ne pas t'apprécier.

— La bande ? Combien êtes-vous ?

— Huit pour l'instant. Le reste du groupe nous rejoindra dans une semaine.

Le reste du groupe ne te rejoindra jamais, Jared. Il est déjà trop tard.

Où se trouve ton épée ? Je pourrais la récupérer pour toi.

Son visage s'est illuminé et il a lâché très sérieusement :

— Si tu fais ça pour moi, je te serai éternellement reconnaissant.

Puis il a sorti une énième fleur de sa poche et me l'a tendue. J'ai ri en gardant le coquelicot dans mes mains.

— Je ne sais pas où elle est.

— Sûrement dans la salle d'armes. J'irai y faire un tour demain.

Comme par magie, il a sorti un autre coquelicot de sa poche et j'ai éclaté de rire.

— Mais où trouves-tu tout ça ?

— Par-ci par-là. Par hasard, je dirais. Et dès que j'en cueille un, je pense à toi.

Il a pris le coquelicot qu'il m'a alors glissé sur l'oreille. J'ai souri et mon cœur a chaviré quand ses doigts ont frôlé ma joue. J'aurais voulu qu'il laisse sa main mais il ne l'a pas fait.

Il était encore trop tôt.

Mais qu'est-ce qu'un trop tôt face au temps qu'il nous restait ?

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | BONUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant