Chapitre 11

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Le soleil s'est couché. Les détails me paraissent flou. Je me fais vieille et ma mémoire n'est plus très bonne. Je m'appelle Danïa, et je n'ai aucun souvenir de cette nuit-là. En réalité, je me souviens seulement de hurlements. Des hurlements profonds et intenses. Je revois du sang, le bruit des lames qui s'entrechoquent, je me revois prendre un coup en plein ventre et puis c'est tout.

Retour à la réalité. Quatrième jour. Au petit matin, je me suis réveillée. Il était plus de onze heures. Tout aurait pu être normal. J'aurais pu mener ma vie aussi simplement.

Le problème, c'est que j'étais amoureuse de Jared. Et c'était impossible. Peut-on tomber amoureux en si peu de temps ? En si peu de chapitres ?

Quand j'ai rouvert les yeux, un mal de crâne intense m'a saisie. Je me suis mise debout, sans trop de difficulté, et je suis sortie de ma chambre. Aucun garde n'était là pour m'accueillir. J'ai toqué à la porte de Jared et personne ne m'a répondu.

Mais une voix a résonné dans mon dos :

— Il n'est pas là.

Mon père me faisait face. Un sourire étincelant brillait sur ses lèvres. Il s'est approché et sa main s'est abattue sur ma joue.

— Tu n'es vraiment qu'une petite sotte de t'être entichée d'une fripouille dans son genre. Il t'a utilisée. Du début à la fin.

J'ai bégayé mais aucun mot n'est sorti. Où est-il ! aurais-je voulu hurler. Mais je n'en ai rien fait.

Les larmes ont coulé. Mon père m'a fixé avec un sourire vicieux cette fois-ci, mais je lisais une pitié sans nom dans son regard.

— J'espère pour toi qu'il ne t'a pas dépucelée. Auquel cas ta seule place serait dans la rue, à côté de ces vermines qui arpentent le sol de mon royaume.

Il m'a tourné le dos et est parti. Moi, je me suis effondrée au sol. J'avais dix-huit ans. Je ne connaissais rien à l'amour. Est-ce que la vieille femme que je suis aujourd'hui serait plus avancée sur la question si fatidique ?

Étais-je réellement amoureuse de Jared ? D'un homme que je connaissais à peine et que le destin avait mis sur ma route ?

Sans réfléchir, j'ai foncé dans les couloirs. Je savais où se trouvaient les cellules. Je n'ai pas hésité. Jared devait être dans l'une d'entre elle. Aucun garde ne surveillait les cachots, si bien que j'ai trouvé ça étrange.

Mais quand j'ai compris que les cellules étaient fermées à clef et que la clef devait être gardée quelque part dans le château, j'ai réalisé que la présence de soldats n'était même pas nécessaire.

Toutes les cellules étaient prises. Alors c'est d'une voix chevrotante que j'ai bredouillé :

— Jared ?

Aucune reponse. Je me suis figée. Aucun des prisonniers ne bougeait. Mes yeux se sont posés sur un point. La cellule la plus éloignée.

Une main se tendait à travers les barreaux. Cette main s'ouvrit pour y dévoiler... un coquelicot rouge vif.

Je me suis précipitée vers lui. J'ai attrapé sa main et je l'ai serré fort.

— Jared, ai-je soufflé.

— Danïa. Ma Danïa.

Sa voix était forte. Son visage défiguré. Son arcade sourcilière saignait et il avait un beau coquard. Mais malgré cela, il restait toujours d'une beauté insaisissable.

— Ton plan était stupide, l'ai-je sermonné. Regarde dans quel pétrin tu t'es mis.

J'étais trop légère. Je prenais la vie pour un jeu, comme si la mort ne nous guettait pas.

— Je suis condamné à mort. Demain, à l'aube.

— Non, ai-je refusé. Je vais te sortir de là.

J'étais sûrement trop bornée. Mais mon principale défaut, c'est que je gardais l'espoir dans mon cœur comme s'il était le remède de mon malheur. Or, j'eus compris au fil du temps que l'espoir n'était qu'un poison.

Jared était mon espoir. Celui d'une vie meilleur. J'en avais pour lui. Je nous voyais survivre, je nous voyais vivre ensemble. Je vis le champ de coquelicots qu'il me promettait. J'entandais des promesses amoureuses le matin, quand je me réveillerais à ses côtés. Je voyais tout un monde avec Jared.

Un monde qui n'a jamais existé.

— C'est trop tard, Danïa.

Il me souriait. D'un sourire étincelant. Moi, je fondais en larmes parce qu'on allait m'arracher une parcelle de mon bonheur.

— Pourquoi souris-tu ?

Il y eut un instant de flottement. Il me dévorait des yeux et moi, moi je pleurais sans m'arrêter. J'étais désemparée. J'étais faible. Je ne contrôlais aucune de mes émotions.

— Même quand tu pleures, tu restes splendide. Danïa, le temps m'est compté. Mais sache que, si j'avais toute une vie devant moi, je n'aurais toujours pas assez de temps pour te conter en quoi ta beauté m'émerveille de seconde en seconde.

— Jared...

— Non, laisse-moi finir. Les quelques jours que nous avons eu m'ont rendu profondément heureux. J'ignore ce qu'il se passe entre nos cœurs, mais la vérité, c'est que nous avons créé quelque chose. Notre lien, personne ne pourra nous le retirer.

Il s'approcha des barreaux et sa main essuya mes larmes.

— Ne pleure pas, Danïa. Reste forte. Offre-toi la vie que tu mérites. Et ne laisse personne te dire que tu vaux moins. Parce que tu vaux tout l'or du monde et même plus, ma douce.

𝐋𝐞 𝐉𝐞𝐮 𝐝𝐞𝐬 𝐑𝐨𝐬𝐞𝐬 | BONUSOù les histoires vivent. Découvrez maintenant