Chapitre 6

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La guilde des poissonniers avait donné un mois à ses deux émissaires pour réaliser leur entreprise. Mais en associant la méticulosité de l'un et l'ingéniosité de l'autre, les deux amis furent prêts à la moitié de ce délai. Au soir du quinzième jour, ils étaient sur un des hauts toits de l'Agora, devant l'ambassade d'Aqabah.

Vêtus de tuniques sombres que Vassili leur avait dégotées, ils se fondaient à l'obscurité, telles deux ombres dans la nuit. Vassili avait dissimulé sa chevelure blonde sous un turban noir, et Féodor avait immobilisé son pouce droit avec de larges bandes de tissu rigidifiées par de la cire.

Féodor ne pouvait que se l'avouer : il y avait quelque chose de grisant dans la préparation d'un mauvais coup. Il se sentait vivant. Maintenant qu'il y pensait, il devait souvent ce sentiment aux initiatives de son ami.

Vassili arborait son éternel sourire. Il dévorait le bâtiment des yeux, une lueur malicieuse dans le regard. Féodor devait bien l'admettre : l'édifice était sublime.

Il n'avait d'ambassade que le nom, et Féodor l'assimilait plus à un château aux formes arrondies. Un immense dôme d'ardoise bleue surplombait de nombreux toits en coupole, dont la taille diminuait avec la hauteur, de telle manière que sous les plus petits, un grand hall s'ouvrait sur les jardins. La lune se reflétait sur les murs de pierre blanche aux formes courbes, si bien qu'une faible clarté paraissait en émaner directement, irradiant les jardins alentours. Çà et là, de grandes tours semblaient naitre des recoins de l'édifice, et pointaient vers les étoiles leurs toits en forme de bulbes. Sous de nombreuses arches, Féodor pouvait nettement distinguer la présence de gardes armés. Son estomac se noua.

– Tu es prêt ? demanda Vassili.

– Non.

– Moi non plus. Allons-y.

Ils avaient répété le plan des dizaines de fois. Vassili avait observé les allées et venues des gardes pendant une semaine entière, et ils avaient appris par cœur les rondes, ainsi que les relèves. Féodor avait appris seul les plans du bâtiment, Vassili étant trop dissipé pour l'exercice. Il espérait néanmoins que la routine dans laquelle étaient plongés les soldats les rendait moins vigilants.

Ils descendirent du toit où ils avaient pris position, et se dirigèrent vers les hautes grilles de métal donnant sur les jardins. Les franchir ne posait aucune difficulté, même avec la blessure de Féodor. Vassili prit tout de même la précaution de grimper lentement, afin de ne pas faire tomber le sac dans lequel il transportait un peu de matériel. Les deux amis s'étaient mis d'accord pour n'emporter que le strict nécessaire : la potion de passe-muraille de Karloff, deux cordes, un couteau, et une massue. Pour le reste, ils devraient compter sur leur talent.

Ils traversèrent les jardins avec toute la prudence du monde. De grandes allées de gravier blanc séparaient des carrés de végétation, où poussaient de nombreuses fleurs qui saturaient l'air de parfums entêtants. De multiples fontaines s'échappaient des jets d'eau qui retombaient dans des bassins de marbre blanc, baignant le lieu d'un bruit blanc apaisant. Si Féodor n'était pas en train d'entrer par effraction dans un des bâtiments officiels de l'Agora, il se serait cru dans un rêve.

Comme prévu, ils ne croisèrent aucun garde. Ils avaient choisi d'entrer précisément par une fenêtre donnant sur le flanc de l'ambassade, car seule une ronde passait par cet endroit. Ils étaient certains de disposer de quelques minutes de battement entre deux passages. Ils s'accroupirent sous la lucarne au plafond arrondi. Donner de la voix était risqué, aussi avaient-il convenu d'un langage gestuel.

« Prêt ? » signa Vassili d'un mouvement de main.

Pour toute réponse, Féodor haussa les épaules. Son cœur battait la chamade. Son compagnon ne lui donna pas le temps de réfléchir, et s'introduisit par la lucarne après avoir vérifié d'un coup d'œil qu'il n'y avait personne aux alentours. Les fenêtres Aqabiennes présentaient cet avantage qu'elles n'étaient pas pourvues de vitres. Il s'agissait de simples ouvertures destinées à faire entrer l'air et le soleil, qui à Aqabah était plus coriace qu'ici.

Les parias (fanfic Game of Rôles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant