// ... Chapitre un ... //

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"Lucy" (Clozee Remix) - Senbeï


Il m'arrive parfois de me dire, que le monde est un fardeau. Que notre réalité est trop logique. L'enfance, les études, le travail, la retraite et enfin la mort. Tout ici manque de fantaisie. Nos décisions, nos choix, font que l'on reste tous plongé dans un bocal géant sans pouvoir en ressortir. Condamnés à tourner en rond. Mon image de l'humanité est un banc de poisson courant après un bonheur qu'il ne rencontrera peut-être jamais. Ou alors suivant une image bien définie. Une bonne situation, une famille, une belle voiture, un chien, une belle maison, un bon salaire,...

L'argent, le pouvoir et l'amour. Ces trois mots sont ce qui régit l'humanité toute entière et malgré moi je suis plongée dans ce tourbillon infini de normalité protocolaire. Attendant que les années de ma vie s'écoulent en faisant au mieux, pour être une humaine digne de ce nom. Une image de réussite.

Nous sommes en 2075 et quoi ? Regardons autour de nous deux minutes. Arrêtons le progrès  pour regarder ce que nous avons finalement fait. Abandonné les moteurs thermiques pour les remplacer par de l'électrique, ce qui est bien en soi, mais nous avons juste déplacé le problème... Nous sommes encore plus gourmands en énergie en dix ans que sur les cinquante dernières années... Nos batteries durent des centaines d'années, se rechargeant grâce à l'énergie engendrée par nos déchets nucléaires, aux mouvements ou à la chaleur. Plus de fils, plus de prise, plus rien, tout se recharge aujourd'hui, à l'infini, mais jusqu'à quand...

A côté de ses progrès grandioses d'ingéniosité, la moitié de la planète a soif... La pénurie d'eau est un cataclysme constant et qui empire. Pas pour moi bien sûr, je ne vois que la réglementation de ma consommation, mais j'y ai accès moi à l'eau, contrairement à mon voisin en Inde...

Je hais l'humanité d'être si aveugle, mais en même temps je suis comme eux... Tous les jours je ne fais rien pour changer ça, et je ne peux rien faire, enfermée dans mon bocal à tourner en rond...

La vie est risible. L'humanité est risible.

J'aime ma vie, j'aime ma famille, mes amis, mon chat, comme tout le monde. Aussi et je pense avoir de la chance, j'aime mon métier.

La mécanique, c'est toute ma vie. Les choses bien faites, précises, épurées et fines. J'aime le froid de l'acier, pouvoir toucher la technologie aujourd'hui si impalpable... La création, rendre quelque chose qui à première vue serait une simple arme basique et en rendre un bijou de technologie calibré au millième. Le son propre, impeccablement d'une mécanique bien réglée. Peut-être ai-je atteint un semblant de bonheur en ayant le pouvoir de concevoir des choses qui sortent tout droit de mon esprit ? Peut-être...

Et je suis là dehors à tirer sur ma cigarette hors de prix, devant le terminal A, tentant de trouver une solution à mon dernier problème après une réunion interminable et d'embarquer pour une autre ville à l'autre bout de la France. Les vols à répétition, entre les clients et les fournisseurs, ma vie affective y passe je le sais. Mais pourquoi tourner à deux dans le bocal ? Pourquoi je devrais partager le bocal de quelqu'un d'autre ? Juste parce que c'est la norme ? Juste parce qu'être à deux est un semblant de bonheur ? Théorie dite par d'autres poissons qui ont refusés de vivre cette fatalité seuls peut-être...

Je ne veux pas rentrer dans ce moule. Je ne veux pas partager les problèmes d'un autre? J'en ai déjà assez des miens... Si la route doit être si courte et si vide de bonheur, autant profiter de ce que l'on aime faire seul, non ? Ma logique est égoïste, certes, mais je ne peux pas être avec quelqu'un juste pour me sentir moins seule. Là, je serais pire encore... Je serais véritablement, une égoïste...

Je contemple le paysage autour de moi en soupirant sur ma vie de merde. Tout est gris... Du béton, du bitume, quelques plantes de-ci de-là histoire de mettre un peu de vert dans tout ça ; non l'homme aime la nature, mais uniquement quand elle est belle et bien fleurie dans un pot... Comme quoi tout doit tenir dans un récipient pour l'homme. Je souris en coin de désespérance face à cette façade publicitaire qu'est l'humanité d'aujourd'hui...

Il pleut, l'air est humide et froid. Nous sommes le mercredi 10 mars et j'entends les gouttes qui tombent. Les températures ne sont jamais négatives avec le réchauffement, mais je sens le froid me prendre les veines. Je frissonne soudain et serre la main sur le manche de ma petite valise. Que vais-je faire demain ? Aller courir peut-être ? Aller me saouler avec mes amis ? Oublier cette foutue vie, ou plutôt, cette vie foutue ...

Perdue dans ces pensées inutiles je ne me rends pas tout de suite compte du silence autour de moi.

Je n'entends plus les gouttes qui tombent, pourtant je les vois bien. Il règne un silence de mort tout à coup. Je regarde autour de moi, il n'y a personne. Je sens alors un vide, comme quand on est submergé par l'eau d'une piscine. Mes oreilles me font mal et j'entends un bourdonnement, puis à nouveau le vide. Les battements de mon cœur résonnent dans mes tempes, le bourdonnement est toujours là, mais supportable.

Le temps semble s'être arrêté. Je vois une goutte en suspension juste sous mon nez, je peux même voir les images déformées par celle-ci. L'eau se répand pourtant sur mon doigt quand je la récupère et reste béate face au spectacle unique qui s'offre à moi. Je n'ai pas peur en cet instant, je suis juste, intriguée.

Tout, autour de moi, est en suspens. Sans un bruit, les rythmes de mon cœur font écho au silence. J'ai très froid soudainement, les gouttes immobiles commencent à geler en un petit crissement presque agréable, la glace se forme autour d'elles, mais c'est impossible.

Des voix s'élèvent alors, je regarde à droite, à gauche, mais ne voit personne. Je serre ma valise, comme si elle pouvait me ramener à la réalité sans doute. Mais c'est bien la réalité non ? Je doute alors de mes propre yeux, d'être réellement là.

Le souffle me manque. Une étrange matière bleutée commence à sortir de ma goutte ainsi que de toutes les autres, un mélange de poussière et d'or. Je reste à contempler ce spectacle septique, autant arrêter de réfléchir. Je n'ai pas peur, bizarrement, juste dubitative et perdue. La poussière danse autour de moi et je commence, entre deux traînées de poudre, à distinguer un paysage nouveau.

Ma réalité se brouille de plus en plus sous la poussière qui m'entoure dans une ronde rapide. Je vois, une montagne. Oui, je dois être à côté d'une montagne, le sol sous mes pieds change. Je vois des pierres noires, tranchantes et brisées, de l'ardoise. Je tourne la tête et me rassure en reconnaissant toujours le bâtiment de l'aéroport, mais je le vois de moins en moins. Pourquoi je n'ai pas peur ? Et pourquoi je me pose une telle question à un tel moment ? Pourtant c'est un fait, je n'ai pas peur. Je sens mon cœur palpiter de vitalité comme je ne l'avais pas entendu depuis des années.

Bientôt le bâtiment gris est remplacé par la vue d'une haute falaise, j'ai vraiment très froid, je frissonne. Je me sens comme, flottante quelques secondes, avant de ressentir à nouveau la gravité sous mes pieds. La poussière se calme et se dépose petit à petit sur le sol de pierres noires. Il n'y a plus que la falaise et le soleil chauffe ma peau. Je ne reconnais plus rien, je ne sais pas où je suis. J'entends le vent et des oiseaux.

Mon sac à main et ma valise sont toujours là, je me cramponne à eux, comme pour me rappeler un instant ce que je pouvais encore comprendre il y a quelques minutes.

J'entends toujours les voix et vois leurs propriétaires en me retournant, deux personnes, habillées en... Robes longues et bleues ?

Je ne vois pas trop leurs visages, de longues barbes grise et de grands chapeaux pointus. Mon cœur s'emballe et j'ai du mal à respirer, l'air est tellement lourd d'un coup. Pourtant je me sens légère, comme si mon corps avait un poids en moins.

Je lève les yeux vers l'un des deux hommes qui s'avance vers moi les bras ouverts, il sourit et son regard est bienveillant. Il s'arrête, me scrute longuement. J'ai fais de même en perdant mon souffle, seconde après seconde.

- Bienvenue Titan.

oOo


Nota: Illustration by Erin McManness - "the death of the fish"

TITANOù les histoires vivent. Découvrez maintenant