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Emilien Deymes est un putain de cliché. Il aurait préféré que sa vie ressemble à un Doisneau mais elle a plutôt la tronche d'une publicité pour parfum. Est-il le Gentleman de Givenchy qui pose chastement sa veste sur les épaule d'une jolie brune ? Non. Il est plutôt Dior. Dior Homme Intense, Robert Pattinson dans les rues de New York à la recherche de ce qui fera enfin battre son cœur.

Ce matin, accoudé au balcon, il tape du pied et la tour Eiffel se met à scintiller. Il souffle la fumée de sa cigarette, recouvrant les paillettes d'un épais brouillard. Il déguste les dernières taffes, il n'en aura pas d'autre jusqu'à lundi, pas question de sortir une seule clope à Cambrac. Depuis que papy Roger a succombé à un cancer du poumon, le tabac est un sujet tabou (encore un) chez les Deymes.

Il arrive presque au filtre, il est temps de l'écraser et de s'activer: l'avion décolle à 9h20, il faut qu'il se douche, qu'il prépare ses affaires et qu'il vire la blonde peroxydée qui comate dans son lit. Il prend quelques secondes pour contempler son dos nus étiré dans les draps. Il est plutôt fier de lui. Hier soir, tous les piranhas du club 157 l'ont repéré, elle ondulait sur la piste de danse à la recherche de celui qui aurait le droit de la ramener. A coup sûr, elle jetterait son dévolu sur Maxime. Nom célèbre et costume Armani oblige, c'est toujours vers lui que les plus belles femmes se dirigent. Avec son air détaché, il leur fait un peu la conversation puis se tait pour les détailler de haut en bas, doucement, comme s'il était déjà en train de les déshabiller. Il établit un contact physique en posant sa main sur un bras nu ou en effleurant sa proie avec son épaule, le jeu ne dure pas plus de trente minutes, ensuite il propose de partir vers "un endroit plus tranquille" en faisant un clin d'œil à Emilien qui se contente généralement de récupérer l'amie de la fille, très belle aussi, mais avec ce petit truc en moins.

Mais hier, alors qu'il était hypnotisé par la robe violette qui tournoyait et les seins pointant vers le haut à l'intérieur, il se rendit compte que leur propriétaire le regardait fixement, lui. Il ne fut pas difficile de la convaincre de le suivre : une coupe de champagne, une adresse dans le triangle d'or et le tour était joué. Il prit le temps d'apprécier le rictus amer de Maxime, qui avait bien remarqué qu'elle était la meilleure prise de la soirée. Il fut également simple de lui arracher sa robe et de la coucher sur la table de la salle à manger, le canapé en cuir et enfin le lit. Elle tomba enfin de fatigue à cinq heures et demi, tandis qu'Emilien n'arrivait plus à fermer les yeux.

Elle dort avec la bouche en avant, comme un princesse de contes de fées prête à recevoir le baiser de son prince charmant. Emilien sourit, il essaye de graver cette image dans sa tête, il y repensera pendant le long week-end qui l'attend.

Deux jours à Cambrac. Deux jours avec la famille de son père, à écouter tonton Jacques donner son avis sur la politique migratoire actuelle, tatie Carole reprocher tout et n'importe quoi à tout le monde et à espérer que son paternel aura un mot tendre... En vain.

"Je viens pour toi mamie. Je te promets que je ferai un effort, je me tairai, mais sache que tout ça c'est pour toi."

Madeleine l'a appelé quatre fois avant qu'il accepte de faire le déplacement. Au dernier coup de fil, elle a invoqué les après-midi à confectionner des tartes aux pommes pendant que ses parents se déchiraient dans un divorce qui prenait trop de temps. Il n'a plus eu le cœur de refuser.

Douche tiède, after shave, déodorant et habits qui sentent la lessive, il est prêt. Il met dans un sac les affaires nécessaires pour le week-end. Il fait du bruit, peut-être que la blonde se réveillera. Rien. Elle reste inanimée sur le lit. Peut-être qu'il peut la laisser comme ça et lui demander de déposer les clés dans la boîte aux lettres quand elle s'en ira. Peut-être qu'elle lui écrira son numéro de téléphone sur un bout de papier et que ce sera le début d'une belle histoire. Idiot. Coeur d'artichaut. Il faut qu'elle dégage. Laisser une inconnue dans l'appartement fraîchement rénové de son beau père, t'en as d'autres des idées comme ça ? Elle est peut-être hystérique. Elle pourrait tout casser, elle pourrait même mettre le feu à l'appartement comme elle l'a mis à son pantalon hier soir. Elle est timbrée cette fille. Tout a été trop facile. Elle est arrivée ici et elle m'a laissé lui faire tout ce que je voulais en poussant des cris qui ont dû réveiller tout l'immeuble. Idiot. Il faut qu'elle parte.

Comment s'appelle-t-elle déjà ?

- Debout, murmure-t-il.

Il passe sa main sur son dos. "Debout !" Elle ne bouge pas. Peut-être qu'elle est morte. Elle s'est mis pas mal de cocaïne dans le nez hier. Peut-être qu'elle a fait une overdose. Peut-être qu'elle est morte dans son sommeil. Ou pendant qu'on... Non, ce n'est pas possible.

- Réveille toi ! se met-il à crier.

Il la bouscule maintenant, les caresses ne sont plus que des efforts désespérés pour qu'elle ouvre enfin les yeux, il la remue dans tous les sens. Son cœur bat à mille à l'heure : "Réveille toi, putain !"

- Arrête! Mais t'es complètement malade!

La blonde a repris connaissance et elle paraît terrifiée serrée entre les mains d'Emilien. Il faut quelques secondes pour que l'information arrive à son cerveau et que ce dernier donne l'ordre de la lâcher.

Ni une, ni deux, elle ramasse ses affaires, rhabille son corps parfait, hurle des insultes et claque la porte. Seul dans son salon, Emilien continue de s'excuser. Peut-être qu'elle va entendre. Il la regarde s'éloigner par la fenêtre dans sa robe violette en soie. Un clochard la siffle et elle lui fait un doigt d'honneur. "Salope!" crie-t-il tandis qu'Emilien ferme les volets.

Les moments ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant