22 septembre 3/3

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Assis devant les grandes grilles en fer de la maison de retraite des Primevères, Emilien en est à sa troisième cigarette en trente minutes. Maxime, Fabien et une petite équipe de télévision discutent à voix basse, il s'est éloigné de leur cercle, ils lui donnent la gerbe.

Il n'avait pas réalisé que demander de l'aide à Fabien signifiait aussi vendre l'histoire de sa grand-mère. Ce dernier a su lui rappeler que dans la vie rien n'est gratuit, "et puis sans nous, aucune chance qu'on vous laisse entrer", a-t-il ajouté. Emilien lui aurait bien collé son poing dans la tronche mais il a pensé à Madeleine et il a ravalé sa colère.

Maxime n'ose pas le regarder dans les yeux, savait-il ? Probablement. Son frère et lui ne se cachent rien, ils ont cette espèce de relation idéale où malgré leurs désaccords et leurs caractères opposés, ils se soutiennent inconditionnellement. Emilien déteste les voir ensemble, ça le renvoi à tout ce que lui n'a pas. 

Il guette anxieusement la rue. Anelie et Madeleine auront-elles vraiment fait demi-tour ? Il a l'impression d'avoir envoyé un bouteille à la mer en écrivant à sa cousine. Elle lui a bien répondu "on arrive" mais il n'est pas encore sûr que ce soit vrai. Il ne croit que ce qu'il voit et pour l'instant tout ce qu'il a vu c'est une enfant effrayée face à sa mère et une grand-mère résignée.

Le temps semble s'étirer et l'équipe perd patience. C'est quand Fabien s'apprête à venir lui parler qu'il voit la petite Clio blanche de sa cousine s'engager dans la rue. Elle se gare devant le portail en mettant les warnings et l'estomac d'Emilien se serre.

"Pourquoi m'avez-vous fait revenir ici ?" demande Madeleine. Elle est désorientée et pour cause, ils sont à deux pas de la rue Daviel, mais ça Emilien ne le saura que quand Anelie lui aura expliqué.

"Tout est arrangé madame si vous le souhaitez, nous rentrons tous ensemble et nous allons retrouver Pierre". Fabien a les yeux brillant du roquet avide de scoop. Briser le cœur d'une vieille dame n'a aucune importance pour lui. Si elle faisait une crise cardiaque en direct, il en serait ravi.

Madeleine ne comprend pas tout de suite et Emilien lui prend la main tendrement en l'amenant un peu à l'écart. "Mamie... On a découvert que Pierre habite en fait dans cet EPADH... Ils sont... Enfin, on a été obligé de demander de l'aide à ce journaliste et... Je suis désolé...". Anelie prend l'autre main de sa grand-mère : "Tu fais comme tu le sens mamie, tu n'es pas obligée d'y aller. Mais je crois qu'il te doit une explication."

Madeleine hésite, puis elle se tourne vers Fabien et dit "allons-y". Quelque chose d'inattendu se produit alors : Anelie agrippe le bras d'Emilien. A part une bise de bonjour d'aurevoir, il n'a jamais aucun contact physique avec sa cousine, ce soudain besoin de s'accrocher à lui le prend au dépourvu et l'émeut plus que ce qu'il aurait cru. Il la regarde dans les yeux : "ça va aller" dit-il.

Quand il entrent dans le bâtiment, il découvrent un endroit plutôt délabré. Des petits vieux sont dehors avec leurs déambulateurs et leur envie de crever, Emilien a un flash et se voit ici plus tard, absolument seul. Un frisson parcours son dos et il agrippe à son tour le bras d'Anelie. A l'accueil, une hôtesse trop maquillée tente de les empêcher de passer mais Fabien et son équipes brandissent leurs cartes de presse et leur matériel "qu'il vaudrait mieux pas casser sauf si vous voulez de la mauvaise pub". Maxime assène un sourire et ils avancent jusqu'à la chambre 524 sans trop de problèmes. 

"Prête?" demande Fabien.

Madeleine respire longuement puis hoche la tête. Quand la porte s'ouvre, Pierre a l'air bien plus âgé que quand il l'a rencontré. Le temps s'arrête une minute puis il l'invite à entrer ; elle seule et le caméraman qui jure d'être discret. Plus tard, Emilien saurait tout de ce qui s'est dit et de tout ce qu'elle a ressentit seconde par seconde mais pour l'instant il n'a pas d'autre choix que de s'assoir près de sa cousine et de se ronger les ongles.

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