Décembre

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"Emilien, arrête de râler et viens, ça commence !"

Emilien décapsule deux bières et revient devant la télévision. Anelie est emmitouflée sous le plaid et il le tire à lui quand il s'installe. 

"Je regarde seulement pour être sûrs qu'ils n'ont pas fait trop de la merde. Je te jure que s'ils ont ridiculisé mamie, je leur fou un procès !

- Arrête ! Max m'a dit que c'était pas si mal."

Il marmonne quelque chose d'incompréhensible, il ne peut pas croire qu'Anelie ait succombé à Max. Bien qu'elle s'en défende, il n'est pas complètement idiot, il voit bien comme elle rougit quand il lui parle et il sait qu'ils s'écrivent beaucoup, elle tourne toujours son téléphone de manière à ce qu'il ne puisse pas voir, mais il sait. Pourquoi choisit-elle toujours les pires mecs du monde?

Elle colle ses pieds froids sur ses mollet et dit que c'est le prix à payer pour lui avoir piqué le plaid. Il secoue la tête et ils regardent le reportage. Quelques minutes sont consacrées aux retrouvailles de Madeleine et de Pierre. Même s'il ne l'avouera pas, Emilien est assez impressionné du storytelling qu'ils ont pu faire avec si peu de matière. Le tout reste très digne, sans voyeurisme aucun et finalement, le doc donne un peu d'espoir. Anelie essuie une petite larme et son cousin se moque gentiment, il ne veut pas la vexer, il aime qu'elle soit là. Depuis qu'elle est venue s'installer à Paris, elle passe tous ses dimanche après-midi chez lui. Elle arrive vers midi et cuisine quand il n'est pas encore levé. Ils regardent des films, jouent à des jeux vidéos et il a même entrepris de lui apprendre quelques accords de guitare, ce qu'il regrette amèrement à chaque leçon.

Pour Noël, ils covoiturent jusqu'à Cambrac. Ils ne partent que le 24 au matin car Emilien jouait la dernière représentation de sa pièce la veille. Il n'a pas encore de rôle à venir et il n'est pas sûr qu'il en décrochera un rapidement. Il s'est inscrit à une classe de littérature classique en attendant, il pense de plus en plus à changer de voie, mais il n'est pas encore prêt à l'avouer. Quand ils arrivent à Cambrac, l'apéritif est déjà servi. Les petits cousins se chamaillent au coin du feu et Madeleine est au fourneaux. Pierre est là aussi, le regard plus amoureux que jamais. Il prétend ne pas entendre les chuchotements des enfants Deymes, c'est un des avantages quand on est vieux, on peut faire comme si on ne savait rien et personne ne vous le reprochera. Emilien et Anelie restent scotchés ensemble, quand Eric ou Carole viennent les interpeller, ils font bloc et aucune remarque ne peut les atteindre. 

Ils remontent à Paris pour le nouvel an, une table est réservée dans le carré VIP du club 157 et le champagne est payé par Maxime et ses amis. Anelie s'agrippe d'abord à son bras puis au fur et à mesure des verres, elle prend la main de Maxime et ils disparaissent quelque part. Emilien a l'impression qu'un vide immense se créée alors qu'il s'assoit sur la banquette et enchaîne les shots de vodka pour l'oublier. "3... 2... 1... Bonne année !" Crie la salle. De jeunes filles inconnues l'embrassent sur la bouche, parmi elles, il croit reconnaitre la blonde peroxydée du mois d'août. Il voudrait dire quelque chose mais elle est déjà partie. Est-ce que ce sera toujours comme ça ? Vais-je toujours frôler le bonheur sans jamais l'attraper ? 

Il sent quelqu'un qui prend sa main et l'attire vers la sortie. "Partons d'ici" dit Anelie. Ils s'engouffrent dans un taxi et elle ne cesse de rire. Il plane un peu trop pour comprendre ce qu'il se passe mais elle a déjà décidé : "On va quelque part où on va vraiment s'amuser".

Ils se retrouvent sur une scène de karaoké et Emilien a perdu le compte des heures. Ils hurlent les paroles d'une chanson de Nirvana quand il reprend conscience de son être et Anelie danse comme si personne ne la regardait.

"T'as couché avec Max? demande-t-il plus tard.

- Oui...  c'était nul je te rassure ! Ca m'a fait prendre conscience que je ne voulais plus de mec pour un long moment !"

Emilien sourit.

"Et toi, dit-elle, qu'est-ce que tu veux pour cette nouvelle année ?

- Je sais pas... Trouver ma voie" répond-il.

Elle rit.

"Je sais pas si ça se trouve vraiment ça. 

- Je sais pas, j'ai juste l'impression que tout le monde a avancé sauf moi. Je reste coincé dans des rêves inatteignables, avec moi-même... Je peux pas m'échapper de moi-même...

- Moi je suis contente que tu puisses pas t'échapper de toi. Qu'est-ce que j'aurais fait si t'avais pas été là? Si t'avais pas collé ton poing dans la figure de Geoffrey, si tu nous avais pas accueilli mamie et moi et si tu m'avais pas dit de rester à Paris ? Je serai peut-être retourné avec Geoffrey, mamie aurait jamais retrouvé Pierre et ma mère passerait encore son temps à me dire ce qu'il faut que je fasse... Tu nous as aidé quand on en avait le plus besoin et regarde nous. On est là, dans ce bar pourri tous les deux et on n'a besoin de rien d'autre."

En regardant dans les yeux vitreux de sa cousine, Emilien comprend qu'il n'est plus seul. Bientôt, il faudra qu'il fasse des choix comme Madeleine et Anelie en ont fait les mois précédents. Il faudra qu'il décide s'il veut persévérer dans cette carrière qui ne décolle pas, il faudra qu'il comprenne pourquoi aucune fille ne lui plait vraiment, qu'il avance dans un sens ou dans un autre, il sait qu'il ne peut plus passer son temps à attendre que quelque chose lui arrive. Pour l'instant, il entraîne sa cousine vers un studio de tatouage et ils se font graver le D de Deymes dans la peau. Peut-être qu'ils le regretteront demain matin, mais pour l'instant, ils prennent un putain de pied!


Les moments ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant