16 septembre

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Encore une journée pour rien. Nul. Il a été pitoyable. Incapable d'aligner deux phrases correctement pendant l'audition. Pas étonnant que le metteur en scène l'ait coupé plusieurs fois. Les mains moites, les gouttes ruisselant dans son dos, il a bafouillé, s'est repris, a bégayé de nouveau. "On vous rappellera dans la semaine" a dit la petite stagiaire d'un air hautain. Etre pris pour une merde par une gamine à peine sortie du lycée, check ! Emilien a définitivement touché le fond professionnel. 

En rentrant, il a ignoré tous les appels, textos ou messages vocaux de ses prétendus amis, pas envie de leur raconter ses déboires, surtout quand leurs carrières à eux semble décoller. Il est rentré chez lui, s'est fait une tisane et a regardé un film ringard mais qui lui a permis de se déconnecter de sa vie pour deux heures. Il n'était même pas minuit quand il a éteint la lumière.

Dehors, l'orage commençait à gronder et il faisait écho avec l'avalanche de questions qui s'abattaient sur lui. Est-il temps de changer de voie? "De revenir à la réalité" comme dit son paternel ? Après tout il a bien ce petit rôle au théâtre Saint Georges mais ce n'est pas vraiment un chef d'œuvre et ça ne remplit pas le frigo. A presque trente ans, être dépendant de son beau-père lui fait mal à l'égo mais il ne voit pas d'autre option pour l'instant. Doit-il persévérer ? Encore pendant combien de temps ? Attend-il quelque chose qui n'arrivera jamais ? Devrait-il trouver une solution de secours ? Reprendre des études? Tout plaquer pour tenter sa chance en Californie comme lui conseillent certains ? Aucun de ces scénario ne lui paraissent possible. Il est bloqué, ici, empâté dans tout ce qu'il n'est pas et tout ce qu'il n'a pas fait. Comment serait sa vie s'il était resté avec Ophélie ? Si ses parents n'avaient pas divorcé? S'il était né dans une autre famille ? 

Il est plus d'une heure du matin et il n'a pas fermé l'oeil quand l'interphone se met à sonner, il se lève d'un bond pour y répondre. "Je suis con se dit-il en chemin, c'est probablement des fêtards éméchés qui s'amusent à faire chier le monde", mais il décroche quand même. 

Deux minutes plus tard, alors qu'il se demande encore si ce qu'il a entendu est bien réel, Anelie et Madeleine sont devant la porte de son appartement. Elles sont trempées et paraissent venir de nulle part, aucun mot ne vient à la bouche d'Emilien.

"Salut, lance Anelie, on peut rentrer?"

Emilien se pousse, il n'a pas l'air d'avoir vraiment le choix.

Madeleine suit, Anelie lui tire une chaise pour la faire assoir, elle a l'air complètement désorientée.

Emilien observe le ballet sans le comprendre. Anelie fait couler de l'eau du robinet et donne un verre à sa grand mère. Elle prend un plaid sur le canapé qu'elle pose sur ses épaules. Elle murmure "Je suis désolée mamie... Je suis désolée". 

Emilien a l'impression de regarder une série dont il a manqué une saison entière, il tente de capter le regard d'Anelie qui semble avoir totalement oublié son existence. Quand enfin il y parvient elle lui fait un signe "Je t'expliquerai plus tard" croit-il lire sur ses lèvres. 

" On peut dormir un peu ? Tu as une chambre d'amis ? demande-t-elle

- Heu... vous pouvez prendre mon lit. Je suis insomniaque de toute façon...

- D'accord. Merci. Vient Mamie. On va se reposer."

Madeleine ne dit toujours rien, elle ressemble à un zombie. 

"Elle va bien ? Anelie, qu'est-ce...

- Oui elle va bien, rassure Anelie, on a juste eu une grosse journée."

Elles disparaissent derrière la porte et il reste les bras balans, en caleçon au milieu du salon. 

Les moments ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant