22 septembre 1/3

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"Putain !" C'est le premier mot que dit Emilien presque tous les matins, il se demande parfois si ce n'est pas le premier mot qu'il a prononcé de toute sa vie. Putain est utile dans toutes les situations : quand il est vraiment énervé, quand il est émerveillé, choqué, effrayé, ennuyé. Il le met à toutes les sauces et putain, contrairement à beaucoup de choses dans son existence, ne l'a jamais déçu.

Ce matin, son usage se justifie par un SMS dont la sonnerie vient mettre fin à un rêve agréable. Il est à peine sept heures et Emilien n'est pas surpris d'en découvrir l'auteur. Papa:  "Rappelle moi rapidement". 

Depuis qu'il sait qu'Anelie et Madeleine sont chez lui, Eric le harcèle. Emilien lance le téléphone portable sur sa table basse. Il remonte la couette sur ses épaules et se prépare à quelques minutes supplémentaires dans les bras de morphée, mais aussitôt a-t-il trouvé la position confortable que la sonnerie des messages retentit encore. Emilien décide de ne pas regarder. Son père peut attendre, comme lui a longtemps attendu un signe d'affection. Le jeune homme a toutefois oublié qu'à plus de cinquante ans, il nous vient en tête autre chose qu'envoyer des messages avec un smartphone, quelques secondes après c'est la sonnerie d'un appel qui le sort définitivement de la plénitude du réveil.

"Enfin ! Je t'ai envoyé tout un tas de messages ! On arrive là, on vient de se garer.

- Quoi ?

- Carole et moi, on est en bas de chez toi. On vient récupérer mamie."

Emilien se lève d'un bond, remonte un peu le volet roulant du salon et constate bien que son père et sa tante sont sur le trottoir d'en face. Putain ! Il enfile les premiers habits qu'il trouve et se rue dans la chambre.

"Mon père et ta mère sont là !"

Anelie se réveille d'un coup alors que Madeleine est déjà assise sur le bord du lit, habillée et résignée.

"Anelie... qu'est-ce qu'on fait ?

- Qu'est-ce qu'ils font là ? Ils ne peuvent pas nous laisser cinq secondes ?

- Ils viennent ramener mamie de force, c'est sûr ! Comme si elle pouvait pas prendre une décision pour elle même !

- Ils ont toujours besoin de tout contrôler...

- J'ouvre pas. On est à deux doigts en plus d'avoir l'adresse de Pierre, murmure-t-il, Maxime me l'a dit hier.

- On peut pas les laisser faire ! "

Les deux cousins n'ont pas remarqué que Madeleine s'est levée. D'un pas lent, elle sort de la chambre et lance : "C'est moi qui les ai appelé".

Vingt minutes plus tard, Eric et Carole Deymes sont dans le salon d'Emilien et tout le monde garde les yeux rivé sur sa tasse à café. Les lèvres pincées, les respirations profondes teintées de colère intériorisée renvoient Emilien vers les moments les plus tristes de son enfance. 

"Bon... Et bé on va y aller hein..." c'est Carole qui brise le silence. Comme son frère, l'agacement se lit sur son visage, toutefois, elle ne dit pas un mot plus haut que l'autre, personne ne pourra lui reprocher d'avoir hurlé la première.

"Mais... maman..." tente Anelie qui est renvoyé vers son silence par le regard électrique que lui jette sa génitrice. Pour elle non plus, le côté Deymes de sa famille n'est pas celui de la douceur.

"Mamie...

- Ne commence pas Emilien, coupe son père.

- Toi ne me dis pas quoi faire, j'ai plus quatre ans. Et mamie non plus d'ailleurs !

- Change de ton avec ton père Milou ! "

Carole le fixe, c'est vrai qu'elle a quelque chose de flippant. Mais ce n'est pas ça qui va l'arrêter.

"Pourquoi vous voulez rentrer ? C'est pas comme si quelque chose de super important attendait mamie.

- Emilien, s'il te plait ! C'est bon ! Maman, tu as bien fait de nous appeler... Enfin... Paris... Ne le prend pas mal mais c'est plus de ton âge..."

Emilien bouillonne.

"Mais d'où tu lui dis ce qu'elle peut faire ou pas ?"

Eric et Carole se lèvent en silence et aident leur mère.

"Putain ! Mais quelle famille de timbrés ! Anelie ! Dit quelque chose !"

Sa cousine est restée assise, elle est comme pétrifiée.

"Emilien, on n'a pas besoin de tes leçons de morale d'accord. (Carole parle avec une voix si calme qu'elle en est effrayante) On est venu chercher mamie parce qu'elle nous l'a demandé. On n'a pas de compte à te rendre, on rentrer à la maison. Merci de l'avoir hébergé, maintenant on reprend là où on s'était arrêté d'accord ! Anelie, tu viens ?"

La jeune femme se lève et suit sa mère docilement. 

"Maman, tu vas aller avec Eric et moi je monte avec toi Nini."

Emilien ne peut pas croire ce qu'il voit. 

"Anelie, toi aussi tu y vas ? Mais qu'est-ce que tu fais ?"

Sa cousine paraît être devenue toute molle et sort de l'appartement sans répondre, Emilien a l'impression d'être invisible. 

"Merci pour tout mon Milou, tu sais il vaut mieux comme ça" dit Madeleine en l'embrassant sur le front.

Les moments ordinairesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant