Octobre

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Les couchers de soleil du mois d'octobre sont ceux qu'Anelie a toujours préféré. Le ciel tourmenté semble avoir pris feu, la lumière est douce mais elle dégage une certaine force, on sait que les jours à venir seront froid mais il y a comme une certitude : celle qu'on va y survivre. Elle s'arrête sur une aire d'autoroute un peu avant Brive la Gaillarde pour en faire une photo. Sur la banquette arrière, Madeleine et Pierre n'ont presque pas remarqué ce petit détour, ils sont trop occupés à se regarder l'un l'autre comme s'ils avaient quatorze ans. 

Anelie coupe le moteur, ouvre la porte de sa voiture et s'allonge sur une table de pique-nique avec son téléphone tourné vers le ciel. Elle prend quelques secondes encore pour admirer ce spectacle qu'elle a vu des dizaines de fois mais qui aujourd'hui lui semble exceptionnel.

Deux heures plus tard, ils arrivent à Cambrac et le jour est déjà couché. La ferme des Ouliès est restée figée dans le temps, inconsciente de leur absence. Anelie embrasse les tourtereaux qui se sont tout dit et tout pardonné, elle jure de revenir bientôt et sa grand-mère sait que c'est faux mais elle sourit, quelque chose d'autre attend sa petite fille.

Anelie roule en silence jusqu'à son appartement. Ici rien ne lui semble plus familier. Elle se rend compte de la laideur de sa rue où il n'y a que des résidences neuves sans âmes. Les arbrisseaux plantés sur les trottoirs ont mauvaise mine, il est à peine neuf heures et le quartier est déjà endormi, elle n'a plus rien à faire ici. 

Elle monte jusqu'au troisième étage de son appartement par l'escalier et l'odeur du produit désinfectant la répulse. Elle entre et il fait froid. Rien n'a bougé depuis son départ. La tasse de thé noir qu'elle n'avait pas rangé traine toujours sur le plan de travail, le plaid est étalé sur le canapé, le lit n'est pas fait. Elle remarque que ce sont toujours les draps dans lesquels elle dormait avec Geoffrey, elle ne les a pas changé depuis leur rupture. Sans attendre, alors qu'elle porte encore son sac à dos et sa veste en jean, elle retire les draps du lit, les met en boule puis les jette par la fenêtre. Elle fait de même avec toutes les affaires de Geoffrey, tout ce qui pourrait avoir son odeur, tout ce qu'il aurait un jour touché. Au milieu de la nuit, elle a terminé et elle se sent légère. 

Le lendemain matin c'est le bruit de la sonnette de la porte qui la réveille. Les voisins n'ont probablement pas apprécié son vide maison nocturne. Sa mère arrive en catastrophe tandis qu'Anelie boit un chocolat chaud. 

"Enfin, tu as complètement perdu la tête ? Il faut ranger tout ça !

- Que Geoffrey vienne le faire, ce sont ses affaires à lui" répond-elle calmement.

Une grande valise est ouverte au milieu du salon avec ses vêtements à elle, bien pliés, prêts à la suivre. Carole s'en aperçoit ensuite mais, probablement pour la première fois de sa vie, n'ose pas demander ce que c'est. Elle connait déjà la réponse. Anelie va partir.

Le lendemain elle reprend la route, six heures encore. Elle a une bonne playlist pour l'accompagner et quand elle arrive chez Emilien, elle a la voix cassé d'avoir chanté tout le trajet.

Elle dort sur son canapé une semaine puis elle trouve une petite chambre de bonne dans le 15ème. Il n'y a qu'une plaque électrique sur laquelle elle ne pourra définitivement pas faire la blanquette de veau de Madeleine, la salle de bain est une douche dans le couloir d'entrée et les toilettes ne ne ferment que pour ceux qui font moins d'un mètre soixante mais tout ça l'importe peu. Elle déballe sa valise, installe une plante sur un coin de table, punaise le poster d'un vol d'oiseaux au dessus de son lit et elle se sent chez elle.

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