Chapitre 6 - Peter

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Je n'arrive pas à croire que j'ai laissé un tel rapprochement s'opérer entre nous. Mais je n'ai pas pu résister. Quand j'ai senti son odeur et son souffle contre ma peau, je n'ai pas pu retenir ces quelques mots de franchir mes lèvres. Pourtant, je ne peux pas laisser quoi que ce soit se passer en nous, il faut que je garde mes distances. Alors que je descends au rez-de-chaussée, le téléphone de la maison se met à sonner.

- Mais qui peut appeler à une telle heure ? ronchonne Maria en me passant devant pour aller décrocher. Bonjour, vous êtes bien chez les Verliebt. Oui monsieur, ajoute-t-elle après une pause, son anglais approximatif trahissant ses origines, avant de me tendre le combiné. C'est votre père.

Mon père ?

Je m'approche et prends le combiné, les mains tremblantes, ne sachant pas à quoi m'attendre. Je ne lui ai pas dit que je partais pour la France pendant tout l'été et encore moins donné un numéro de téléphone.

- Oui.

- Peter ? s'exclame effectivement la voix de mon père à l'autre bout du fil.

- Oui papa, c'est moi... je souffle, espérant que Maria se soit trompée et que ce soit un faux numéro.

- Peux-tu me dire ce que tu fais en France ? demande-t-il brusquement avec son fort accent texan que j'ai mis tant d'années à gommer.

- C'est pour mes cours, je rentre fin août, dis-je prestement, plus qu'impatient de mettre fin à cette conversation.

- Non ! s'écrit-il avec colère. Tu rentres immédiatement ! Tu dois venir m'aider au ranch comme on l'a convenu quand tu es parti étudier à la ville, ajoute-t-il en crachant presque le dernier mot.

D'après lui, Dallas est bien trop progressiste et dépravée. Bien que la réalité soit tout autre, surtout si on la compare à d'autres grandes villes du pays. En revanche, si on la compare à Paradise, Dallas devient le lieu de toutes les perversions.

- Je reviens à la fin de l'été, dis-je implacable sur le sujet, ne comptant absolument pas prendre un vol retour avant l'heure, pour me retrouver à travailler dans ce ranch que je déteste plus que tout au monde.

- Tu as fait des promesses, Peter, et pas uniquement à moi, alors j'espère que tu ne comptes pas me faire honte en ne les tenant pas, me menace-t-il.

- Je sais ce que j'ai promis, je murmure, hargneusement, pour que personne n'entende. À tout le monde, j'ajoute avant de raccrocher.

Comme à chaque discussion avec mon père, une furieuse envie de frapper quelque chose monte en moi. D'habitude, j'aurais fait un saut à la salle de boxe de l'université pour me défouler sur un sac de frappe. Mais ici, préférant éviter de croiser qui que ce soit dans cet état, je remonte en vitesse à l'étage pour m'enfermer seul dans la chambre. Au moment où j'ouvre la porte, Dante fait de même depuis l'intérieur et me rentre dedans.

- Putain ! je m'exclame, sans pouvoir me retenir.

- Oula, s'exclame Dante en retour, tout en reculant aussi vite qu'il le peut. Eh, ça va ? me demande-t-il avec hésitation en voyant la colère et l'énervement qui habitent mon visage.

- Je ne sais même pas pourquoi j'ai réagi comme ça, je lâche en le contournant pour entrer.

Je l'entends refermer la porte et me suivre tandis que je me laisse tomber sur mon lit et qu'il fait de même sur le sien.

- De quoi est-ce que tu parles ? me demande-t-il en se raclant la gorge.

- Tout à l'heure, je n'avais aucune raison de t'en vouloir, tu avais entièrement raison. Mon père est... une vraie enflure. Il se fout de tout et de tout le monde, à l'exception de son ranch et de son bétail. Si quelque chose ou quelqu'un n'est pas bon pour eux, il l'éjecte hors de sa vie comme s'il n'était qu'un vulgaire caillou dans sa chaussure. Et je ne parle même pas de cette ville qui est véritablement mon enfer sur terre. Tu ne peux rien y faire sans être épié et que les moindres de tes faits et gestes ne soient rapportés à tout le monde, dis-je avec dégoût, laissant jaillir toute la haine que j'ai en moi depuis des années, sans prendre la peine d'utiliser le français sachant qu'il me comprend parfaite.

Après avoir pris une bonne bouffée d'air, je réalise que c'est la première fois de ma vie que je me confie ainsi. La sensation de soulagement est si intense que je me demande pourquoi je ne l'ai pas fait plus tôt. Mais au fond, je connais déjà la réponse : personne avant Dante ne m'avait inspiré assez de confiance pour que je m'ouvre de cette manière. C'est tout simplement lui. Ce tendre Dante, aussi maladroit que moi, mais tellement plus libre, et en phase avec lui-même que je ne le serais jamais. Je le jalouse d'une certaine façon, pour tout ce qu'il va avoir dans sa vie et dont je ne peux que rêver.

- Ça va mieux ? me demande-t-il, son demi-sourire malicieux au coin des lèvres.

- Tu n'imagines même pas à quel point, dis-je en rigolant.

Nous restons un moment simplement allongés en travers de nos lits, sans rien dire, juste à profiter de la présence de l'autre et du calme de la nuit.

- Allez, il est temps d'éteindre les lumières et de dormir, lance-t-il finalement, en se levant pour aller prendre ses affaires de nuit avant de rejoindre la salle de bain.

- Oui, tu as raison, je souffle en me redressant.

Je prends sa place une fois qu'il est prêt, rêvant d'une douche bien fraîche. Quand j'en ressors, Dante est déjà couché dans son lit, prêt à rejoindre les bras de Morphée. Je limite sans un mot. Heureux.

- Bonne nuit, dis-je en me tournant sur le côté, me retrouvant face au dos de Dante.

- Bonne nuit.

Je bouge un peu afin de trouver une bonne position puis ferme les yeux, prêt à m'endormir quand soudainement la voix de Dante s'élève à nouveau.

- Merci, murmure-t-il.

- De quoi ?

- De t'être confié à moi... malgré ce que j'ai fait et dit...

Ma gorge se noue à l'idée qu'il se sente responsable de ce qu'il s'est passé entre nous alors que je suis le seul coupable. Mais avant que je n'aie le temps de lui répondre, j'entends sa respiration devenir bien plus profonde.

Il s'est endormi.

Notre Premier étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant