J' i en i un no ve u jo rn l.
Pardon, j'ai dû changer de stylo. J'espère qu'il ne me lâchera pas de sitôt. Ma réserve est de plus en plus basse, et je ne sais pas ce que je ferai le jour où je serai à sec d'encre.
Je disais donc : j'ai enfin un nouveau journal.
Il n'a rien de bien glorieux. J'ai épuisé tous les carnets que j'avais en stock, et j'ai dû fabriquer celui-là de mes propres mains. Vous savez bien que je ne suis pas très doué pour ce genre de chose, mais j'ai fait de mon mieux. J'ai rassemblé toutes les pages vierges que j'ai pu trouver dans la maison (c'est-à-dire pas beaucoup), et je les ai reliées avec une ficelle, le genre que j'utilise pour confectionner mes pièges. Elle tiendra, je ne m'en inquiète pas.
En revanche, je suis plutôt préoccupé par l'état de mes réserves. Comme tous les mois, j'ai fait mon inventaire, et il est assez catastrophique. L'été ayant été rude, le potager n'a pas été très généreux, et je n'ai pas pu confectionner autant de bocaux que les années précédentes. De plus, deux poules ont disparu la semaine dernière. La faute à ce foutu renard que j'entends rôder la nuit, je suppose. Il va falloir que je sécurise le poulailler dès demain. Je ne peux pas me permettre de perdre plus d'animaux, pas avec l'automne qui approche.
En-dehors de la nourriture, mon stock de médicaments est également inquiétant. Je peux compter sur les doigts d'une main le nombre de boîtes de pilules pour les douleurs et la fièvre qu'il me reste (deux, très exactement). Je vais devoir me montrer spartiate dans leur utilisation, cet hiver.
Et plus me couvrir, histoire de ne pas à nouveau attraper la grippe.
Puis il y a la question de mes journaux. Je dois me rendre à l'évidence : je dois limiter mes entrées quotidiennes. Une page, pas plus (et voilà que je dépasse déjà cette limite...). Si mes calculs sont bons, j'ai assez de papiers pour tenir encore trois cent quatre-vingts jours, soit un peu plus d'un an.
Après cela, mes humbles mémoires devront se terminer, à moins que je ne mette la main sur plus de matériels. (Ce qui n'arrivera jamais, soyons honnêtes. Quitter la ferme est trop dangereux.)
L'idée que, dans un futur plus ou moins proche, je serai dans l'incapacité de m'exprimer, de retranscrire à l'écrit ce que je vis en ce moment-même, m'est tout bonnement insupportable.
Mais je suppose que je devrai m'y faire. Après tout, il y a peu de choses qui sont supportables dans la fin du monde.
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HIRAETH
Bilim KurguLe monde tel qu'on le connait n'existe plus. Pourtant, moi, je suis toujours là. Je survis du mieux que je peux, avec pour seule compagnie ce journal et l'espoir qu'un jour, quelqu'un lira ces mots. TW : maladie, dépression, mort, suicide