Chapitre III : Elleapolis et fleur d'hibiscus (Partie 3)

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Les cris dans sa tête ne voulaient cesser, prêts à dévorer chaque parcelle de son être. La tête dans ses bras, ses genoux repliés contre elle-même, elle paraissait perdue dans son lit trop grand pour elle. Cela faisait des heures qu'elle restait ainsi proscrite. Des images qu'elle désirait plus qu'autre chose ne jamais revoir ne semblaient pas prêtes d'arrêter de défiler derrière ses paupières. Il pleuvait dehors, il pleuvait à verse. Trop tard, songeait-elle, trop tard pour arrêter les flammes qui avaient lapé gens et bâtiments. Il faisait déjà plus sombre.

Elle se leva, comme en transe, attrapa un sac et se décida enfin à bouger. Elle ne pouvait pas rester plantée là, pas après tout ce qui venait de se passer. Cela avait-il seulement réellement eu lieu ? Ce ne pouvait pas être autre chose que le fruit de son imagination. Non, ça ne pouvait en être autrement. Bill devait lui jouer une mauvaise blague. Une blague de très mauvais goût.

Elle fourra dans le sac ses affaires les plus nécessaires, comme à l'aller de cet étrange rêve dont elle ne parvenait pas à se réveiller. Ou plutôt un cauchemar. Oui, un putain de cauchemar, c'était ça ! Alors qu'importe ce qu'elle ferait, elle ne risquait rien, puisque dans quelques heures ou minutes, elle se réveillerait dans son lit, la pluie arrosant les rues de Paris, et elle reprendrait sa petite vie tranquille.

Un sweat enfilé, ses converses montantes compensées aux pieds et Chimène était parée à fuir loin de cette folie. Qu'importe où elle irait, bientôt tout serait fini. Jamais sa petite vie tranquille ne lui avait autant manqué. Elle ouvrit la fenêtre, prenant une bouffée de Ventoline pour se donner du courage, et alla sur le balcon. Trois étages, ce n'était pas si haut, non ? De toute façon, elle n'avait pas le choix, le Bill de son rêve avait interdit qu'on la laisse sortir.

De son rêve, oui. Sinon, comment expliquer la présence de Darius Anderson, ce chanteur qui depuis si longtemps comblait le vide de son existence ? Comment expliquer ce Jaeden qui faisait chavirer son cœur ? Comment expliquer cette vision d'amie d'enfance, ce rêve d'enfant ? Non, hormis ses parents, la seule imperfection de ce rêve était l'absence de Liat, sa seule et meilleure amie. Toute cette mascarade n'avait d'autre choix que d'être un rêve. Elle allait se réveiller, assise dans l'entrée de son petit appartement.

L'adolescente se pencha au-dessus de la rambarde, cherchant quelque chose pour se réceptionner, ce qu'elle trouva en la présence d'un buisson à un endroit tout à fait accessible. Elle rentra, le temps de prendre des draps et de les noués entre eux, puis ressortit. Attachant le tout à la rambarde, la jeune fille fit attention à ce que rien ne puisse être vu par les fenêtres du dessous. Elle inspira, en quête de courage, et commença la descente.

Agrippée à sa corde de fortune, Chimène s'époumonait, ses poumons en feu, un feu glacial. Sur un balcon, quelque chose bougeait. Il ne fallait pas qu'elle tousse, sous aucun prétexte. Et encore moins qu'elle ne lâche prise. Mais la pluie était contre elle, s'infiltrant dans la capuche de son sweat. Elle plissa les yeux pour tenter de se faire une idée de ce qui pouvait bien se passer sur ce maudit balcon.

Si elle ne reconnut pas instantanément Kassidy, et pourtant cela n'aurait pu être personne d'autre, ce ne fut pas la même chose pour Darius. Il était trop grand pour ne pas se faire reconnaître, et Chimène le connaissait trop. À ce moment précis, alors que l'averse la trempait jusqu'aux os, elle aurait dû être en train de réfléchir à comment se sortir de ce pétrin. Mais pourquoi, alors qu'il s'agissait de son rêve, pourquoi Darius embrassait-il cette fille ?

Comme hypnotisée, la blonde, détrempée par les minutes à les fixer, ne pouvait détacher son regard d'eux. Pourtant, leur baiser n'avait pas durer si longtemps. C'était peut-être le froid qui lui engourdissait le cerveau. Qu'est-ce qu'elle faisait encore ici, à les regarder ? C'était trop obnubilant.

- Avoue-le toi-même, Kass, lâcha alors le jeune homme, étonnamment assez fort pour que la fugitive en herbe l'entende, bien que de manière étouffée. Il n'y a plus rien entre nous.

- Je suis désolée Darius, je pensais vraiment pouvoir être celle qui t'aiderait, répondit l'autre. Mais visiblement, je me suis trompée.

- Voyons ça comme un baiser d'adieu pour cette relation, restons amis, sans cris ni larmes, dit-il avant qu'elle ne souffle quelque chose que Chimène ne put entendre. Tu devrais te reposer, utiliser tes pouvoir comme aujourd'hui t'épuises.

C'est ce moment précis que choisirent les mains de la blonde pour lui faire défaut. Elles glissèrent sur les draps, prenant la jeune fille au dépourvu. Elle lâcha prise, atterrissant dans le fameux buisson. Elle serra les dents à l'entente des voix des deux adolescents, et put à nouveau respirer en les entendant rentrer. Elle ne savait s'ils étaient partis se reposer ou aller demander à ce qu'on vérifie les environs, mais elle ne pouvait laisser passer cette chance.

Se relevant dans un bond, malgré les quelques douleurs de sa chute, Chimène se mit à courir le plus vite possible au travers de la forêt. Ses poumons la faisaient pleurer de douleur, néanmoins elle refusait de s'arrêter pour si peu. Ce n'était qu'un rêve après tout. Un rêve très réaliste et très douloureux. Elle courrait, l'adrénaline la poussant toujours plus loin, et quand celle-ci se dissipait, n'importe quel bruit suffisait à la raviver.

Bientôt, ses minutes de course se transformèrent en heures, les rares pauses qu'elle prenait ne lui laissant qu'à peine le temps de reprendre son souffle et de s'hydrater. Ce rêve était définitivement bien trop réaliste pour en être un. Jetant un coup d'œil à son portable et s'apercevant qu'elle avait un peu de réseau, l'adolescente envoya un message à son amie, Liat, pour lui demander de venir la chercher. Où, elle ne savait pas. Mais elle voulait voir Liat. Son portable s'éteignit, faute d'avoir été chargé avant de partir.

Les jambes lourdes, Chimène continua d'avancer, jusqu'à arriver près d'une rivière. Au loin, elle vit un kiosque abîmé par les années. Trônant majestueusement au milieu de l'eau, quelques pierres permettant d'y accéder, il l'appelait. À bout de force, elle parvint à le rejoindre. Elle s'écroula de fatigue, à même le marbre usé et gelé. Non, ce n'était décidément pas un rêve.


- On peut savoir comment vous avez pu faillir à une mission aussi simple que garder une adolescente de dix-sept ans ? S'égosillait Bill, hors de lui, tournant en rond depuis plusieurs heures déjà.

Il avait déjà tant de choses à régler que la fuite de Chimène était la dernière chose qu'il aurait accepter de voir arriver. Il sortit de sa poche une cigarette qu'il porta à ses lèvres avant d'allumer. Si ces bons à rien n'étaient que des incapables, la nicotine l'aiderait au moins à se calmer. Bon sang, il était terrifié à l'idée de savoir sa petite sœur perdue dans un monde dont le seul souvenir qu'elle avait était une après-midi avec une personne qui, à ses yeux, devait être une parfaite inconnue.

Bill jeta un coup d'œil à Darius, qui, juste après que Kassidy aie demandé à ce qu'on vérifie les alentours, avait déclaré que Chimène n'était plus dans sa chambre. Il ne paraissait pas inquiet, contrairement à Jaeden, livide sur le canapé, mais en intense réflexion. Cela rassura un instant le lord, car s'il savait que Darius n'était pas la personne aux plus grands pouvoirs de la pièce, il n'en restait pas moins une des personnes les plus intelligentes qu'il connaisse.

- Son portable, déclara le jeune homme de but en blanc.

- Comment ça, son portable ? S'étonna le frère de la disparue.

- Elle a forcément dû partir avec. On doit pouvoir la retrouver avec ça, non ?

Tous les regards se tournèrent vers Jaeden, le plus doué en informatique de tous ceux présents. Quelques minutes et un pc plus tard, le garçon avait trouvé quelque chose. Anaïs et Blanche revenaient tout juste de la chambre de Chimène, avec en leur possession les draps trempés, quand le Chevalier se détourna de l'ordinateur pour faire par de ses découvertes.

- Elle court vite, la petite, lâcha-t-il, tentant de faire de l'humour avec sa voix tremblante.

- Alors ? Le pressa Bill, entamant une autre cigarette.

- On a perdu sa trace, il y a à peu près deux heures. La dernière activité indique aussi l'envoi d'un message à une dénommée Liat.



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