Chapitre III : Elleapolis et fleur d'hibiscus (Partie 5)

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Chimène, assise dans la voiture, gênée par la présence de Nunavik sur l'autre siège passager, admirait le paysage qui défilait par sa fenêtre. Elle aurait souhaité rester plus longtemps, apprendre les mœurs de ce charmant village, accompagner Emilie dans son travail de lavandière, jouer avec les enfants dans la rivière qui passait au niveau du kiosque. Mais ils avaient refusé.

Jaeden avait déclaré que Bill le tuerait s'il ne la ramenait pas immédiatement ; pourtant, ça ne semblait pas le déranger de la livrer tel un agneau à l'abattoir. Peut-être était-il serein parce qu'il se prétendait capable de la défendre face à son frère. Anaïs, quant à elle, avait apparemment un date avec une fille qu'elle avait dite avoir l'air adorable. Jaeden avait ricané. Et Nunavik, qui ne laissait rien paraître, devait rencontrer son fiancé.

Chimène soupira. Elle avait quitté sa vie monotone, espérant le plus discrètement du monde quelque chose de meilleur, pour se retrouver accabler de plus de malheurs encore. Méritait-elle vraiment tous ces tourments ? Elle aurait voulu que Liat soit là. Qu'elle la serre dans ses bras. Qu'elle s'extasie sur le dernier livre qu'elle avait lu. Qu'elles oublient ensemble les balafres que la vie avait gravé sur leurs visages. Qu'elles se jettent des regards complices en voyant des garçons passer dans la rue. Elle détestait son quotidien, mais elle adorait Liat.

Liat et son grand sourire sincère. Liat et ses beaux yeux bruns en amande. Liat et ses cheveux bruns si lisses. Liat, qui lui mettait au moins une demie tête. Liat, qui complexait de son manque de formes quand Chimène complexait de l'inverse. Liat, qui semblait ne vouloir bien ressembler qu'à son amie. Liat et elle, qui formait un duo inséparable depuis quatre ans déjà. Liat, qui avec la musique de Darius, l'avait maintenue en vie. Sa Liat.

- C'était quoi, ce soupir ? Rit Jaeden, se retournant alors qu'Anaïs jetait un coup d'œil dans le rétroviseur.

Chimène vira au blanc puis au rouge. Elle avait soupiré si fort que ça ? Nunavik ne lui prêtait pourtant pas plus d'attention que cela. Pourtant, sa main gauche ne s'arrêtait plus de trembler, comme si elle était un être à part entière alors pris de démence. Anaïs stoppa la voiture, de façon inattendue que même l'elfe eut un petit hoquet de surprise.

- J'ai besoin de pisser, se justifia-t-elle avant de sortir du véhicule et de se diriger vers un bar. Prenez un truc à boire, tant qu'on y est.

- Tu parles, grogna le garçon. Le temps qu'on remonte en voiture, on aura tous envie de pisser. Tous, sauf elle.

- Tu n'auras qu'à y aller aussi, répliqua la brune en s'asseyant à une table.

Chimène, toujours murée dans un silence qu'elle n'aurait su elle-même expliqué, la rejoignit, attrapant la carte au passage. Limonade, diabolo, bières, cocktails et cocktails sans alcool, tous y étaient présents. Et sur la table, un petit pot contenant quelques pop-corns au caramel. Rien ne différait des bars du monde extérieur. Si ce n'était l'homme assit à côté d'eux, avec ses sabots et ses jambes touffues, ou encore la femme qui vint chercher leurs commandes, sa peau couverte par endroit d'écailles grises et vertes.

- Un virgin mojito, s'il vous plaît, articula alors la blonde, tendant la carte à la serveuse qui lui rendit un sourire.

- La même chose, mais avec le rhum, renchérit Jaeden, son large sourire faisant battre des cils l'employée.

- Un café noisette pour moi, dit sèchement l'elfe, coupant court à l'étrange flottement présent.

La serveuse s'éloigna sans demander son reste, et ne revint que pour leur déposer les boissons. Sirotant son cocktail, le garçon observait tour à tour les deux adolescentes, qui dégageaient des auras presque contraires, et pourtant complémentaires. Là où Nunavik était dure, Chimène était douceur. Et là où Nunavik était sérieux, Chimène manifestait une folie brute, presque intense. Mais cela, sûrement, était dû à leurs origines, à ce sang, si puissant, qui s'écoulait dans leurs veines. Ou peut-être était-ce pour d'autres raisons, tout aussi sombres, comme la mort en couche de la mère de Nunavik ou les marques sur les bras de Chimène.

Cette dernière fixait un point lointain, repassant derrière ses paupières les images de ces derniers jours, allant de l'arrivée de Bill dans son appartement à sa course effrénée au travers d'une forêt qu'elle ne connaissait guère, en passant par la chute d'un immeuble en flamme et un enfant en pleur face à sa mère ensevelie sous les décombres.

- Le garçon, parvint-elle à gémir, une mèche de ses cheveux lui retombant sur la joue alors qu'elle repoussait les larmes qui lui montaient aux yeux.

- Quel garçon ? S'intrigua Jaeden, Nunavik lui lançant un regard tout aussi interrogateur que le sien. Tu parles de moi, là ? Je ne suis plus un garçon, j'en ai passé l'âge tout de même.

- Je parlais de l'enfant avec qui j'étais avant que Bill n'arrive.

Il y eut un silence, un de ceux qui disent tout mais ne désirent rien révéler.

- Quand l'immeuble s'est écroulé devant nous, tuant sa mère, sembla-t-elle bon d'ajouter. Vous m'avez conduite à ma chambre directement et m'y avez enfermée, je n'ai pas pu avoir la moindre information quant à ce que vous avez fait de lui.

- Étant donné qu'il s'agissait d'un bâtiment de travail, il n'y a même pas eu une dizaine d'enfants qui ont été sur le lieu du drame. Le garçon a été ramené auprès de son père, et toutes les familles...

- Jae, tais-toi, l'interrompit Nunavik en reposant sa tasse de café, le visage fermé et le poids de sa position sociale s'étant emparé de son aura. Il est interdit de discuter de ce genre de sujet en public.

- Mais, Chimène est l'une des nôtres...

- Les gens de ce café, non. Ce genre de sujet n'est autorisé qu'en les lieux de pouvoir.

- Oh, tu sais, je pourrai te transformer ce lieu en un lieu de pouvoir, si tu le demandes, ricana le jeune homme en jouant avec ses sourcils et son sourire Colgate.

- Monsieur Duplessis, la politique n'est pas un jeu, répliqua toujours aussi sèchement l'elfe.

- Laisse tomber Jaeden, Nuna n'est pas d'humeur à ton humour de merde, lâcha Anaïs en s'asseyant à son tour à la table, souriant à Chimène, qui avait observé toute la scène, les yeux écarquillés d'incompréhension et d'amusement. Allez pisser pendant que je règle l'addition.

Derrière le MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant