Chapitre II : Les larmes de la pluie (Partie 1)

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La pluie battait contre la fenêtre, brisant ses gouttes d'eau contre la surface. La large pièce, faiblement éclairée par une lampe de bureau aux rayons jaunis, était noyée dans le silence. Sur la chaise en velours d'un bleu profond traînait un sac bien trop chargé pour son gabarit. Une valise, ouverte comme si elle avait été éventrée,déversait un flot immense de vêtements de tout genre. Sur le lit aux draps d'un noir immaculé, une pile de livres à la hauteur improbable menaçait de s'effondrer à tout instant. La porte en bois travaillé de la salle de bain était entrouverte, dévoilant quelques affaires posées à la va-vite. La fenêtre, qui se trouvait par-ailleurs être une immense porte-fenêtre coulissante, permettait, par un mince interstice, à la pluie de s'infiltrer.

Assise sur la pierre humide, son corps trempé, Chimène observait la nuit sans fin, veillée par la maigre lueur des étoiles. Cette nuit, même la lune l'avait abandonnée. Ses pleurs, plainte déchirante torturant l'infini de l'espace, se mêlaient à ceux du ciel, à tel point qu'ils s'en rendaient indissociables. La douleur irradiait en elle,et les sombres idées qui lui lacéraient l'esprit avaient perdu toute chance de se réaliser depuis que son frère avait pris des précautions. Ses yeux embués par le chagrin se levèrent, sondant l'abîme de la mer plus loin.

Elleapolis. Il avait fallu qu'elle se rende à l'évidence, si cette ville, qu'elle avait vu défiler sous ses yeux en arrivant, existait, le reste aussi. Elleapolis, capitale d'un monde dont elle ne connaissait rien, capitale d'une vie qu'elle refusait. Il pleuvait déjà lorsqu'ils avaient passé la frontière, un carrefour sur une autoroute qu'elle n'avait jamais vu jusque là. Pour combler le silence dans lequel la jeune fille s'était murée, Bill lui avait alors expliqué que les débuts de l'été sur les Terres Damnées étaient marqués par deux à trois jours de pluies diluviennes. Bien que prétendant ne prêter aucune attention à ces paroles, elle n'avait pu s'empêcher de retenir les mots qu'il prononçait. Il y avait quelque chose d'exaltant et d'excitant dans l'idée de découvrir un univers que l'on ne connaît pas, un univers où nos rêves d'enfants se sont échoués.

En vérité, elle n'avait pas pu voir grand chose de la ville, seulement quelques réverbères le long des voies ou des ponts, baignant dans leur halo doré les proches alentours. La voiture que son frère conduisait l'avait menée quelque peu au-delà de la ville, après avoir passé une épaisse forêt de ce qui semblaient être des pins parasols et qui gravissait les pentes d'une haute colline. Lorsqu'elle s'était arrêtée, et que la jeune fille eut posé pied à terre, elle avait pu admirer deux grandioses bâtiments surplombant une mer apaisée aux noires nuances sous la nuit sombre et dominant la ville de toute leur splendeur. « L'Hôtel Lumière et le Parlement des Âmes »avait alors murmuré Bill tandis que le souffle de sa sœur s'étouffait dans sa gorge.

Trois coups frappés à la porte de sa chambre attirèrent son regard, lui faisant détourner la tête. Elle patienta une fraction d'instant, espérant naïvement que la personne s'en aille, mais trois coups timides résonnèrent à nouveau contre le bois. Dans un soupir, Chimène se leva, son corps et son esprit las. Elle se dirigea d'un pas lent vers l'intérieur, et ouvrit, découvrant à elle une adolescente à peine plus âgée qu'elle qui la dominait d'une demie-tête. Celle-ci triturait nerveusement la pile de vêtements qu'elle tenait entre ses mains usées par le travail, le visage rouge de gêne, ses cheveux bruns rebelles, retenus pour la majorité dans un chignon bas et strict, plaqués sur son front par une mince couche de sueur.

- Mademoiselle, on vous attend en bas, monsieur Darkashes souhaiterait que... débita-t-elle d'une traite sans reprendre son souffle à aucun moment avant de se stopper subitement et de froncer ses sourcils, l'étonnement marquant son visage. Mais, pourquoi êtes-vous trempée ? Je pensais pourtant avoir correctement fermé la fenêtre. Si madame Merson l'apprend, je vais me faire renvoyer cette fois, c'est sûr !

Derrière le MiroirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant