Chapitre III : Elleapolis et fleur d'hibiscus (Partie 4)

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Lorsque Chimène reprit conscience, elle s'étonna de l'air pur présent dans sa chambre, et bien qu'elle dormait cette saison de l'année sa fenêtre ouverte, l'air de Paris ne lui avait jamais semblé si dénué de pollution. Elle ouvrit les yeux et fronça les sourcils. Appuyée sur ses coudes, elle cherchait à comprendre où elle pouvait bien se trouver. Elle en était sûre : elle n'avait jamais vu cet endroit de sa vie.

L'adolescente repoussa les couvertures vichy rouge qui la couvrait d'un geste de la main avant de poser ses pieds nus sur le sol au carrelage carmin, d'un froid contrastant tant avec la température ambiante qu'il lui remonta dans un frisson le long de la colonne vertébrale. Sur une table, dans le coin de la petite pièce, en face du lit, dormait une table de bois grossier sur laquelle, dans toute leur splendeur, des fleurs, contenues dans un vase d'argile, dévoilaient leurs pétales. À côté, bien pliés et ordonnés, reposaient ses vêtements.

Dans son étonnement, Chimène n'avait pas prêté attention à ce qu'elle portait. Les yeux écarquillés, elle remarqua finalement qu'on l'avait changée, pour l'apprêter d'une chemise de nuit blanche, d'un coton doux. Un petit jappement lui échappa.

La porte de la chambre s'ouvrit sur une femme, transpirante et rouge, comme après un effort intense, qui lui adressa un sourire des plus rayonnant, de quoi réchauffer le cœur le plus gelé. Elle alla à la fenêtre, d'un pas lourd de fatigue mais pas moins élégant, passa son visage comme pour jeter un coup d'œil à la rue, et ferma l'un des battants.

- Viens, je t'ai préparé de quoi manger à la cuisine, déclara son hôte d'une voix grave et chantante, empreinte d'un accent mélodieux que la jeune fille n'avait jamais entendu auparavant.

La blonde l'observa alors d'un regard plus attentif, cherchant à comprendre ces souvenirs qui affluaient dans sa tête. Pourquoi se rappelait-elle de son frère la récupérant et l'emmenant dans ce qu'il avait appelé les Terres Damnées ? Pourquoi se souvenait-elle d'avoir rencontré son chanteur préféré ? Qui était ce garçon au sourire éblouissant dont elle revoyait la démarche quelque peu militaire mais si souple ? Qui pouvaient bien être toutes ces filles qui lui avaient arraché un rire ?

Et grand Dieu, pourquoi son hôte avait-elle deux belles oreilles touffues sur le haut de sa tête, placées devant deux petites cornes ? Elle devait halluciner, il était impossible que les veines de la femme soient irriguées par du sang de cervidé.

- Merci de m'avoir recueillie, prononça à mi-voix Chimène, ne sachant pas encore comment encaisser ce qui lui arrivait, tout en suivant l'étrange maîtresse des lieus.

- Oh non, tout le plaisir est pour moi ! Ce n'est pas tous les jours que l'on reçoit la visite de Voyageurs Invisibles, alors autant, c'est un événement qui ne se reproduira pas une deuxième fois ! Se réjouit-elle en se retournant pour offrir son sourire le plus charmant à son invitée.

- Comment ça, autant ? Se pétrifia alors la blonde, écarquillant les yeux, son cœur manquant un battement.

- Oui, un garçon et une jeune fille sont venus te récupérer, ainsi que la Fille des Armées. À ce rythme là, je vais finir par devoir ouvrir une auberge, je pourrai me faire de quoi arrondir mes fins de mois !

- Comment... comment ont-ils su où je suis ? Suffoqua-t-elle, s'appuyant sur le mur pour ne pas tomber.

- C'est simple : ils ont tracé ton portable.

- Mais... il n'a plus de batterie...

- Il s'est éteint à peine avant le village, au kiosque où les enfants vont se baigner. Cela leur a suffit à te trouver. Pour quelqu'un venant du monde extérieur, tu me parais mal informée sur la technologie.

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