Prologue

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Je déambule péniblement, mes yeux embués de larmes me dépeignent un paysage désolé, ravagé par un souffle de violence et de chaos. La ville qui m'a vu naître, qui m'a vu grandir, la gardienne de mes premiers émois et des souvenirs de toute ma vie, celle où mon enfant a poussé son premier cri, n'est plus. Autrefois si chaleureuse et accueillante, elle n'est plus que froideur et ruine. Les bâtisses anciennes qui me rassuraient, me donnant un profond sentiment de sécurité, grâce à leur robustesse et leur longévité, ne sont plus qu'un amas de roches informes. 

Le ruissellement de mes larmes s'accentue en voyant ces inconnus atrocement mutilés expirer leur dernier souffle comme une délivrance de leur tourment, laissant derrière eux leurs corps atrocement mutilés, seul témoignage de la violence des supplices qu'ils ont endurés. J'essuie rapidement mes larmes, en arpentant la rue. La fumée des derniers brassiers me censure, en demi-teinte, la réalité de l'atroce spectacle qui vient de se jouer. 

— C'est de ma faute, j'ai échoué, marmonné-je en avançant entre deux sanglots. 

Le silence ambiant me terrifie, nul ne me répond, aucun encouragement, aucune raillerie, même l'écho semble absent. 

Suis-je seule maintenant ? pensé-je. 

Cette idée provoque un tremblement de tout mon être. Je continue d'avancer avec l'ultime espoir de retrouver les miens sains et saufs. Mes pas hasardeux, que je peine à faire, me font trébucher à plusieurs reprises sur des gravats ou des cadavres. Je pleure en fermant les yeux de ceux que j'ai côtoyés, ceux qui m'ont connu. Je serre leur dépouille sans vie une dernière fois contre moi. 

— Pardon ! hurlé-je en les éteignant et en les berçant. 

J'observe le ciel pour trouver une bouffée d'oxygène, mais ce dernier ne m'accorde pas ma volonté. Lui-même asphyxié par des nuages gris gorgés des fumées de cette catastrophe, ne me  laissant voir que sa lente agonie. Des éclairs pourfendeurs déchirent de toute part sa sérénité, il exprime sa souffrance par ce grognement sourd de tonnerre. 

Je dois me hâter, dans mon ascension, ces scènes d'horreur continuent de jouer leur lugubre comédie, amenuisant peu à peu mes espoirs. Je cours maladroitement, malgré mes blessures, à travers les champs de ruines. Plus je progresse vers eux, plus les rues et les bâtiments sont ravagés, me donnant la sensation que j'aurais dû rester à leur côté, que j'aurais dû être auprès d'eux pour les protéger. 

Le dénouement de cette pièce de théâtre tragique s'offre à moi en arrivant devant ma demeure en miette, totalement anéantie. Je n'ai pas à chercher longtemps les miens. Leurs corps sont exposés comme des trophées à la vue de tous. Je découvre en premier mes amis pendus dont les corps froids et rigides pendent au bout de la corde qui leur a ôté la vie. Mon père et mon frère, comme pour dénoncer leur croyance, sont crucifiés, arborant les stigmates. 

Le souffle court, mon corps tremblant, je m'enfonce encore un peu plus dans ces ruines pour découvrir mon époux allongé au milieu des gravats. Son corps semble avoir été déchiqueté par des animaux. Sa dépouille froide me broie l'estomac. Je m'écroule à ses côtés, ne pouvant plus lutter. Mes sanglots se déversent sur mes joues pour terminer leurs ruissellements sur le visage défiguré de l'homme que j'aime. Je le serre contre moi en hurlant toute ma peine avec ces questions qui martèlent mon esprit :

Pourquoi ? C'était moi qu'il voulait ? Pourquoi s'en prendre à eux ? les maudis-je intérieurement . 

La brume qui entoure ma demeure s'estompe. Une masse sombre attire mon attention, mon instinct maternel s'affole, je plisse les yeux pour déterminer ce que cet écran de fumée me cache. Par pur réflexe, je me dirige vers cette ombre mystérieuse, lâchant avec délicatesse le cadavre de mon conjoint. Sous ce voile se dissimule le clou du spectacle, mon enfant entièrement pelé, à peine reconnaissable, cloué sur une croix à l'envers. Un silence dérangeant règne, seules les gouttes de son sang tombant dans la mare d'hémoglobine inondant le sol résonnent à mes oreilles. 

Je m'écroule à genoux devant ce tableau monstrueux, je ressens une vive douleur au cœur comme si on venait de me l'arracher. Mes forces m'abandonnent, ma volonté se consume à mesure que ma culpabilité s'accroît. Plus aucun cri ne sort de ma bouche, mes yeux écarquillés ne quittent pas les restes de cet être qui fut la chair de ma chair, le fruit de tout l'amour qui m'unissait à mon époux. 

Sans eux, que vais-je faire ? songé-je. 

Ma combativité s'efface peu à peu, je deviens une loque vide de toute émotion. Mon combat prend fin ici, je baisse les bras, je ne veux qu'une chose : mourir pour être avec eux. 

— Te voilà enfin, entends-je derrière moi. 

Cette voix que j'ai tant détestée autrefois ne provoque plus rien en moi. Deux créatures hideuses m’empoignent les épaules en me soulevant. Je ne résiste pas, je les laisse m'emporter. Mon regard ancré sur le corps de mon enfant qui s'éloigne peu à peu. Mes larmes se déversent sans retenue. Je ne masque plus rien, tout est perdu, tout est terminé. 

— Tu vas les rejoindre, mais avant,... on va jouer avec toi ! se réjouit mon ravisseur en me frappant violemment au visage. 

Je perds instantanément connaissance, me plongeant dans un abîme de questions. 

Quand est-ce que tout a foiré ? Qu'est-ce que je n'ai pas fait correctement ? Était-ce un combat perdu d'avance ? 

Je sais ce qu'il m'attend maintenant, une mort lente et douloureuse. Malgré le mal que cela me procure, je ne peux plus empêcher mes souvenirs de rejaillir, me perçant le cœur comme des lames acérées de cruauté. 

Métérise En Réécriture Où les histoires vivent. Découvrez maintenant