Daniel Ricciardo/Max Verstappen
Saison 2022
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Circuit Yas Marina, Abu Dhabi
L'émotion lui sert la gorge, ça semble presque trop, presque inconcevable. Il ne peut pas croire qu'après onze ans c'est la fin, provisoire il l'espère mais une fin en soi. Il passe la ligne.
Son ingénieur parle à la radio mais le son de sa voix est étouffé par le vacarme dans son esprit, il ne veut pas partir. Il veut rester et pouvoir encore rouler, il n'a pas tout donné, pas encore, c'est trop tôt.
Daniel pleure, bien que conscient qu'il sera entendu, il pleure parce que c'est trop dur de partir comme ça, sur un gout d'inachevé, sur cette impression de ne plus être assez bon. Peut-être que c'est le cas, peut-être qu'il n'est plus assez bon mais il aurait aimé pouvoir leur prouver à tous le contraire. Il ne peut plus désormais.
Il aimerait pouvoir dire que ça ne lui fait rien, qu'il arrive à se contenter de ce qu'il a eu, des onze années qu'il a connu en Formule 1. Les plus belles années de sa vie. Mais ce n'est pas assez, ce n'est jamais assez, plus l'on vit de sensations sur la piste plus l'on en veut. Impossible d'être rassasié de l'adrénaline que la course procure, c'est quelque chose que l'on ne peut pas trouver ailleurs.
Il veut célébrer une dernière fois, fêter comme s'il avait gagné. Il voit la fumer des donuts des gagnants au loin. Il en fait aussi, seul loin des autres mais ça n'a aucune importance, pas pour lui, il veut juste terminer cette saison sur une note dont il se souviendra. Ce n'est pas une shoey mais c'est déjà ça.
Quand il arrête la voiture à la place qui lui est réservée il sent qu'il doit dire quelque chose, exprimer ce qu'il ressent et remercier pour tous ce qu'il a vécu.
Ce qu'il dit à la radio n'est pas forcément le plus beau discours qu'il est fait, sa voix est déformée par les pleurs mais il n'en a rien à faire, il n'attend pas grand-chose de ses paroles, il veut juste faire quelque chose, il en a besoin. C'est trop dur de garder ça pour lui, malgré tout ce qu'il s'est passé, malgré la souffrance morale qu'a engendré son contrat avec Mclaren, malgré tout, il ne regrette rien.
Enfin presque rien, il y a une chose qu'il aurait aimé faire mais ce n'est pas ce à quoi il veut penser à l'instant. Egoïstement, il ne veut penser qu'à lui, pour une fois, pour la dernière fois, il veut se concentrer sur ses dernières années, sur lui et sur ses victoires, ses échecs, ses déceptions et ses espoirs.
Il quitte sa monoplace, il sait qu'on l'attend, que son équipe et les journalistes l'attendent. Il aimerait pouvoir prendre le temps de souffler et de réfléchir mais la Formule 1 n'attend pas, elle n'attend jamais, à lui de faire en sorte de suivre.
Il enlève son casque, la chaleur d'Abu Dhabi est difficile à supporter et il est en sueur, pas très présentable, mais tout le monde est dans le même état alors il ne s'en formalise pas.
A l'espace interview, il retrouve les autres pilotes, plus ou moins heureux mais tous épuisé.
Son regard se porte naturellement sur Max, le dos tourné en train de répondre à un journaliste, il ne l'a pas remarqué. Il le détaille, la sueur mêlée au champagne qui perle dans son cou, ses cheveux trempés qui dégouline sur le col de sa combinaison. Max ne cherche pas à l'être et pourtant Daniel ne l'a jamais trouvé aussi beau.
Il s'approche de lui.
Alors qu'il va pour faire remarquer sa présence, Max se retourne, il est heureux, ça se voit et il essaye de se réjouir pour lui, parce qu'il le mérite, mais il n'y parvient pas. La seule chose à laquelle il peut penser est que ce sont surement ses derniers instants sur ce paddock, il va y revenir pour sûr mais ce ne sera jamais pareil.