Chapitre 4 - L'alibi

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« 24 octobre

Hier, je me suis pris la tête avec Drew. J'avais attendu d'avoir un peu de recul pour lui parler de ma maladie parce que je lui faisais confiance. Et sincèrement, même s'il n'est pas parfait, je l'aime beaucoup. Mais je ne suis qu'une sombre idiote. Tout ce qu'il en a déduit, c'est qu'on avait plus besoin de capotes pour baiser. Il n'a eu aucune compassion pour mon mal-être, mes douleurs et la perspective de ne jamais avoir d'enfants. Alors je l'ai planté au Drive-in et je me suis barrée à la bibliothèque. J'avais besoin de me calmer les nerfs.

Et il y a eu ce mec qui est arrivé. Il m'a surpris en train de fumer de l'herbe près de l'issue de secours. Peut-être que j'étais trop défoncée pour me retenir mais j'ai craqué. J'étais en colère et triste à la fois. Et j'ai parlé, j'ai tout déballé à cet inconnu, jusqu'à la réaction de mon abruti de petit copain. Et il m'a écouté sans rien dire. Putain, j'ai confié mes problèmes de fertilité à un type lambda plutôt qu'à mon mec. Je vais vraiment pas bien !

Aujourd'hui, je l'ai revu, au même endroit. Il a l'air d'avoir mon âge mais sa tête ne me dit rien. J'ai pas osé lui poser de questions et je lui ai simplement demandé s'il fumait aussi. Il n'a pas refusé et on a plus rien dit durant une demi-heure. J'ai trouvé ça louche au début qu'il soit pas causant, mais il n'a jamais rien tenté à mon encontre. Sans doute qu'il cherche une présence et que la mienne lui convient. Et je dois avouer que jusqu'ici, la sienne ne me dérange pas. »


Un matin, Jude ressentit le besoin de changement et cela signifiait surtout pour lui de changer de tête. Annabelle ne comprit pas ce revirement dans son attitude et fut surprise lorsqu'il déposa une tondeuse ainsi que des ciseaux sur la table de la salle à manger. Ses cheveux avaient poussé tout l'été et descendaient presque jusqu'au bas de sa nuque et il est vrai que cela lui donnait un aspect assez négligé si on y ajoutait son allure et les énormes poches sous ses yeux, comparables à celle de sa colocataire.

- Laisse juste un peu de masse en haut et le reste, tu l'enlèves, avait-il demandé préalablement.

Annabelle fut touchée par la confiance qu'il lui portait et s'employa à couper minutieusement sa tignasse d'ébène. Tandis qu'elle s'afférait, elle comprit que cet acte marquait le début de l'avancement de son ami. Il souhaitait repartir sur de bonnes bases sans se laisser submerger par de lourdes charges.

Elle dégageait totalement la nuque avec la tondeuse jusqu'aux oreilles puis attaqua la masse avec les ciseaux qu'elle utilisait depuis des années pour couper elle-même ses pontes. Elle se souvint que Thomas le lui avait demandé deux fois par le passé. La première fois, c'était lorsque leur amitié commençait à prendre ses marques et la seconde, c'était pour la remise des diplômes.

À un moment, elle se positionna face à lui pour s'assurer d'avoir bien égalisé de chaque côté et remarqua son regard perdu vers la télévision qui retransmettait les premières images de Freïji, le nouvel Empereur d'Organtia. Elle essayait de ne pas y prêter attention car l'évocation de cet homme lui rappelait sans cesse que quelques mois plus tôt elle avait tenu sa fille dans ses bras et qu'il n'en saurait jamais rien. Il lui était impossible d'oublier la figure du nourrisson, de ses yeux dissemblables et de la tache de naissance sur sa joue qui la rendrait rendait reconnaissable parmi les autres enfants.

Sur son front, à la base du cuir chevelu, elle remarqua une petite cicatrice et se rappela du pansement qu'il avait eu à cet endroit-là lors de leur détention. Il remarqua son malaise et lui sourit pour la rassurer.

- J'ai l'air d'un gros dur avec ça.

Elle esquissa un léger sourire et chatouilla son nez à l'aide d'un pinceau pour dégager les chutes de cheveux sur son visage. Il rit en fermant les yeux et passa une main sur sa nuque dégarnie.

Annabelle Storm - Les Oubliés de l'EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant