Annabelle Storm - Les Oubliés de l'Empire

Chapitre 20 - L'Historien

- Et vous êtes sûre de n'avoir rien de plus à me dire sur elle ? Pas même un petit détail, même significatif ?

- Je suis navrée, jeune homme, mais je peine tout juste à me rappeler du visage de cette femme et mon âge pèse un peu sur ma mémoire.

Evan était déçu. Après avoir serré de nombreuses mains moites et écouté les longs monologues des facultés de recherches qui défendaient leur cause, il était parvenu à avoir un moment avec l'une des anciennes collaboratrices d'Emile Bertillet, mais cette dernière n'avait rien à lui apporter, tout comme l'ancien étudiant désormais conservateur qu'il avait repéré en arrivant au gala.

Plus loin, il avait repéré Leag un peu qui serrait des mains, riait aux plaisanteries et jouait de son charme pour amadouer tous ceux qui l'entouraient sans avoir à faire le moindre effort. Il ignorait comment il s'y prenait, quels mots il employait, mais le Pisteur semblait avoir des prédispositions pour amener les gens à lui faire confiance. Son aura son charme naturel semblaient être ses deux atouts phares, qui attiraient la sympathie comme les papillons de nuit à un lampadaire. Désormais qu'il le connaissait un peu mieux, l'étudiant voyait sa véritable nature se déployer. Celle d'un homme capable de se fondre dans n'importe quel environnement pour peu qu'il en ait l'allure. De loin, il ressemblait à un jeune homme doué pour les affaires, peut-être un mondain. Et à voir les personnes avec qui il discutait, il était évident qu'il ne faisait qu'agrandir son réseau.

Ensuite, après avoir calmé sa faim grandissante en ingérant quelques amuse-gueules et bu un peu de vin - qu'il trouva délicieux - il aperçut Annabelle qui traversait la pièce dans sa direction. Son pas était pressé, mais son visage était empreint d'une grande lassitude.

- C'est officiel, je déteste les galas, se plaignit-elle en attrapant un toast derrière son ami.

Entre deux bouchées, elle lui résuma ses rencontres laborieuses, les discussions inintéressantes et les questions indiscrètes qu'on lui avait posées tout le long de la soirée.

- On m'a plus souvent demandé ce que ça faisait d'être une Classée que ce que je comptais faire de mon argent de soir. Et je t'épargne leurs avis hors propos sur la formidable adaptation de mes "semblables" sur Terre et à quel point j'étais courageuse selon eux d'oser affirmer mon identité ce soir. Si je n'avais pas eu cette foutue marque, personne n'aurait rien vu.

Quand elle se tut, elle lâcha un long soupir qui gonfla ses joues ou souffla une mèche qui dépassait de sa coiffure. Un serveur s'approcha avec un plateau pour lui proposer une boisson qu'elle refusa poliment, sa rencontre avec M. Harrington lui avait coupé l'envie de s'enivrer. Evan n'avait pas dit un seul mot, se contentant de l'observer avec amusement.

- Quoi ? demanda-t-elle en lui souriant à son tour. J'ai quelque chose sur la figure ?

- Non, rien. Je constate juste qu'on a autant progressé l'un que l'autre.

- Les deux personnes que j'ai réussi à approcher se souviennent à peine de ma mère, relata Annabelle. L'un d'eux m'a dit qu'elle a effectivement collaboré avec Emile sur les photos, mais je commence à avoir l'impression que c'est tout ce qu'elle a fait pour lui. De ton côté ?

- Pareil, résuma l'étudiant. Je pense que seul le concerné pourra confirmer nos doutes.

- Et si c'était juste ça ?

Evan vit le voile de tristesse dans son regard. Il comprit alors ses pensées, sans même avoir besoin du pouvoir de Jude.

- Tu as peur qu'elle n'ait été qu'une simple photographe pour lui ?

- Ça reste à envisager, dit-elle sans vraiment l'accepter. Mais si c'est le cas, alors je n'ai rien d'autre sur quoi me baser.

Son pouce frotta la marque sur son poignet comme elle avait l'habitude de faire lorsqu'elle se perdait dans ses songes. Evan fronça les sourcils et, ne tenant pas à la voir se résigner, il déposa son verre sur la table et l'invita à lui prendre la main qu'il lui tendait. Elle l'interrogea silencieusement d'un simple regard.