Chapitre 2 - Le successeur de la Dame

234 33 0
                                    

La boîte de poudre quitta la main tremblante de Cemalis pour venir heurter le sol et le recouvrir d'une fine couche blanche. L'adolescente resta pantoise, incapable de calmer sa respiration saccadée. Elle avait la gorge serrée et regardait avec difficulté son reflet dans la glace. D'une pâleur effroyable, son teint paraissait presque translucide et son regard immense auparavant si enjoué n'était plus que deux globes vides à la lumière éteinte. Elle ramassa doucement la boite et nettoya derrière elle pour ne rien laisser paraître de sa maladresse puis entreprit de maquiller l'excès de fatigue. La tâche fut délicate et elle renonça rapidement à tracer une ligne pour souligner son regard. Après tout, personne n'avait la tête à vouloir paraître sous son meilleur jour. Pas ce soir en tout cas.

Debout depuis l'aube et certainement pour encore plusieurs heures à venir, elle sentait la fatigue affaiblir chaque muscle de son corps. Comment aurait-elle pu devenir ce que ce jour serait le dernier que vivrait l'Impératrice ? C'était arrivé si brutalement, sans que personne ne s'y attende. Pourtant, il était évident que son cœur avait du mal à tenir le coup, mais au cours des derniers jours, elle semblait aller mieux. Peut-être avait-ce été le dernier regain d'énergie d'une mourante. Mais ce qui mettait Cemalis dans un tel état de stress n'était pas le décès de Morlia, mais plutôt la suite des événements. Désormais que l'annonce avait été faite et que la période de deuil planétaire était décrétée, il fallait au plus vite décider de la suite.

Le corps de la Dame d'Or, comme l'appelaient les Organtiens, était encore tiède que déjà toute la Grande Maison s'afférait à réunir tous les membres de la famille proche et tous ceux concernés par la succession des pouvoirs de l'Empire. Et la raison pour laquelle Cemalis était épuisée était simple. Depuis son rapatriement, Olvia, l'instigatrice en chef de la famille Miu'Galina, l'avait prise sous son aile et lui demandait de l'assister dans son travail. Au premier abord, la jeune orpheline crut à un acte de bonté de sa part, mais elle avait rapidement compris que c'était là un moyen que la femme avait trouvé pour garder un œil sur elle, pour qu'elle ne trahisse pas l'accord, et la première chose qui lui avait été demandé lorsqu'elle s'était présentée à Freïji était de mentir.

Rien que de repenser à ce jour, elle trembla de nouveau. Comment oublier ce jour ? Olvia l'avait fait envoyer auprès de lui pour lui annoncer la plus terrible des nouvelles. Le visage de l'héritier présumé s'était décomposé lorsqu'elle avait prononcé le mot « décès » et il s'était effondré lorsqu'elle avait fini avec toutes les peines du monde par « je suis terriblement désolée ». Elle avait dû taire son implication et falsifier ses liens avec Aurélia. Annabelle ne devait pas faire partie du tableau pour une raison qui lui échappait encore. Et comme elle craignait Olvia, elle s'était pliée à ses mesures.

Lentement, elle quitta le petit vestiaire où elle s'était réfugiée et se retrouva prise dans le courant de l'agitation. Son bracelet électronique sonna et elle constata qu'Olvia l'attendait de pied ferme près du hall d'entrée. Prenant sur elle pour ne pas décoller du sol, la jeune Classée se hâta au milieu de la foule composée principalement d'employés de la Grande Maison. Beaucoup d'entre eux avaient les yeux rougis et les traits tirés par la fatigue. Elle aperçut même du coin de l'œil une jeune fille qui s'était isolée pour pleurer. Tout le monde était affecté par la perte de leur souveraine et peu d'entre eux parvenaient à garder contenance.

C'était pourtant le cas de celle qui était devenue intendante en chef de la demeure depuis quelques mois. Olvia avait été promu après l'attentat au plus haut grade que l'on pouvait attribuer aux proches de la famille impériale. Désormais, après avoir s'être occupée de très près des affaires de certains membres et proches de la famille Miu'Galina, elle gérait tout ce qui se passait dans l'immense bâtisse et tout ce qui devait être remonté passait par elle. C'était une nouvelle attribution à la hauteur de ses ambitions. Le travail à abattre pour être à la hauteur était titanesque. Mais aux yeux de Cemalis, elle parvenait à tout gérer avec discernement et ses réaménagements avaient permis d'embaucher plus de personnel. Malgré la crainte qu'elle lui évoquait, la jeune femme trouvait admirable de voir tout le travail accompli depuis sa prise de poste.

Annabelle Storm - Les Oubliés de l'EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant