Chapitre 10 - De mère en fille

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« 5 Février.

Parfois, je demande à William de me parler d'Organtia, de sa vie d'avant ici. On pourrait penser que la barrière de la langue avait fait de lui un taiseux, mais c'est en réalité sa nature profonde. Il parle peu et écoute beaucoup. Et je parle beaucoup parfois. Mais j'ai envie d'en savoir plus sur ce monde qui m'est totalement inconnu. J'aimerais savoir comment vivent les gens de mon âge.

Depuis qu'il est élève dans mon lycée, on se voit un peu moins. Il est sollicité par d'autres camarades de certains cours. Je peux pas lui en vouloir. Il est libre de faire ce qui lui chante. Mais je commence à retrouver ma solitude d'avant, quand je me planquais dans un coin tranquille à ressasser pour moi-même mes angoisses et mon désir de découvrir une herbe plus verte ailleurs. Je me suis trop habituée à ce qu'il soit là. Désormais, j'aime un peu moins être seule. Soyons plutôt honnête, je ne supporte juste plus d'avoir l'impression de le perdre. »

Entre ses doigts, Annabelle fixait la petite carte qu'elle avait trouvée dans la poche de sa veste le lendemain de Thanksgiving. Elle avait reconnu immédiatement le nom de la psychologue que Gloria lui avait recommandé et il ne lui fit aucun doute que c'était cette dernière qui était à l'origine de ce petit cadeau. Elle avait pris la mouche la première fois, mais depuis lors des semaines s'étaient écoulées et elle voyait les choses différemment. Elle avait même fait des recherches pour évaluer son état en alignant sur la barre de recherche chacun des symptômes qu'elle pensait avoir. Lorsque les mots « choc post-traumatiques » apparurent sur les premiers liens, son premier réflexe fut d'éteindre son écran et de se lover confortablement dans son déni. Puis, incapable de trouver le sommeil, elle avait repris ses recherches jusqu'à aller sur le site de l'amie de Gloria.

La psychologue était aussi réputée que le prétendait sa voisine, mais elle n'était pas à la portée de toutes les bourses. Son cabinet se situait en plein centre-ville, au vingtième étage d'une tour où l'on trouvait également les plus éminents avocats de l'état. Ce genre de personnalité n'était pas de celle qui pouvait prendre n'importe qui comme patient. Son temps, en plus d'être hors de prix, devait être précieux et sans doute avait-elle déjà complété son agenda pour plusieurs mois. Mais si Gloria l'avait envoyé vers elle, c'était bien parce qu'elle pouvait le lui permettre.

Alors Annabelle hésitait. Son cœur balançait entre rompre son contrat avec Olvia et déballer tout ce qu'elle avait sur la conscience à une personne compétente ou continuer à faire profil bas, comme Jude.

Ce dernier avait changé d'attitude depuis les révélations de Leag lors du déjeuner. À son retour de l'hôpital assez tard dans la soirée, il avait demandé après l'Assassin, mais celui-ci avait déjà pris la poudre d'escampette en prétextant son rendez-vous quotidien avec sa propriétaire devant Le Souffle de l'Amour. Mais Annabelle n'était pas dupe. Elle savait désormais qu'il n'était pas à l'aise avec Jude. Il l'avait sans doute été auparavant, lorsqu'il n'avait pas encore commis l'irréparable et brisé toute leur franche amitié.

C'est lorsqu'elle entendit Jude descendre les escaliers à la hâte qu'elle comprit qu'une personne avait frappé à la porte. Elle s'était perdue dans ses pensées et laissa finalement la carte de visite retomber sur son ventre, sans pour autant se lever. C'était lundi. Bianca et Francis étaient repartis à Wakeford, et elle n'était pas d'humeur. La fatigue était là sans pour autant la guider vers le sommeil. Les médicaments ne faisaient presque plus d'effets. Elle avait la sensation d'être revenue au point de départ, lorsque le temps lui paraissait infini. Elle en avait lu des livres à la lumière de sa lampe de chevet, puis avec n'importe quel moyen d'éclairage lorsque George finissait par sévir.

Les voix au rez-de-chaussée la ramenèrent une nouvelle fois à la réalité. En tendant l'oreille, elle reconnut celle de Leag. Le Pisteur était finalement revenu et personne ne s'entretuait. Cet état de fait la surprenait assez pour la sortir de son lit et mettre un pied en dehors de sa chambre.

Annabelle Storm - Les Oubliés de l'EmpireOù les histoires vivent. Découvrez maintenant